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Présentée à la Maison d’Ailleurs dans le cadre de l’exposition Mondes (im)parfaits, cette installation numérique a été créée par le peintre, graveur et sculpteur Sébastien Mettraux. Passionné de mécanique et de biologique, il vit et travaille dans la gare de Vallorbe (VD). Ses fenêtres s’ouvrent sur de verts vallonnements; elles sont situées sous la monumentale horloge CFF, parfait symbole pour un créateur que le temps fascine et qui a fait du design de montres.
Sébastien Mettraux est né et a grandi à Vallorbe, «lieu atypique entièrement construit autour de l’industrie». Il y avait du minerai de fer, des forêts susceptibles d’alimenter une trentaine de hauts fourneaux. L’histoire métallurgique de la région détermine son œuvre.
Danses macabres
Issu d’une famille plutôt indifférente à l’art, il ressent depuis sa plus tendre enfance le besoin de dessiner: «Je ne connaissais pas grand-chose à la peinture. J’aimais la bande dessinée et le dessin de presse.» A 15 ans, il demande comme cadeau une visite au Musée d’Orsay. Il pense faire des études de droit, mais entre finalement aux Beaux-Arts, avec l’ambition de devenir prof de dessin. A 20 ans, il trouve sa voie: il sera artiste.
Ayant grandi avec les jeux vidéo, il appartient à cette génération qui a découvert sur grand écran le premier Toy Story et appris à se servir des premiers logiciels. Le digital native a aussi été en première ligne de l’offensive de paranoïa globalisée avec le bug de l’an 2000, le 11-Septembre, le virus H1N1, voire le trou noir du CERN… Sa première série, Dernier Paysage, s’attache à cette spécificité de la psyché helvétique qu’est le bunker.
A l’ECAL, on lui dit d’entrée que la peinture figurative est morte. Il passe outre, conjugue l’image de synthèse et la peinture à l’huile, dialogue avec les peintres de la Renaissance dont il perpétue les modelés, les clairs-obscurs et les perspectives. Observant que les images du paradis convoquent trois éléments, l’eau, la végétation et la verticalité, qu’on retrouve à la devanture des promoteurs immobiliers, il détourne le catalogue des villas de luxe qui se prélassent sur les rives du Léman jadis peint par Vallotton et Hodler.
Il a l’œil pour l’«abstraction de contrôle». Ces motifs non figuratifs qu’on trouve sur les vignettes autoroutières ou les billets de train lui inspirent des gravures. L’une d’elles représente une figure triangulaire au sommet trilobé; il ne s’agit pas d’un cornet de glace à trois boules, mais du pictogramme de la bombe atomique selon la Protection civile… Renouant avec l’art des danses macabres, il modélise des squelettes – «la seule apparition de la figure humaine dans mon œuvre», fait-il remarquer non sans ironie – pour les entraîner dans une ronde désespérément grise.
La tradition du memento mori dicte ses Vanités, réinventées avec des artefacts contemporains. Elles marient avancées médicales de pointe et symboles de résurrection empruntés aux Crucifixions d’antan: prothèse de la hanche et chardons, disque vertébral artificiel et anthuriums au pistil érectile, système artériel, tel que la Chine en imprime déjà en 3D, et épis de blé… Enfant prématuré de sept semaines, Sébastien Mettraux est conscient de devoir son existence à la technologie. Il rappelle qu’en art «il n’y a que deux thèmes: la vie et la mort».
Objets anciens
Pour financer ses études, pour faire bouillir la marmite, le Vallorbier a beaucoup travaillé dans les usines de la région. Dans le cycle Ex Machina, il prend pour modèles les machines du Nord vaudois, ces «totems» de notre civilisation. Il modélise les monstres de fonte, qui peuvent être roses comme la Cadillac du patron car il restait de la peinture, reporte les esquisses sur la toile par quadrillage et peint leurs droites et leurs courbes «au petit pinceau, sans scotch, ni règle». Même le robot palettiseur qui l’a remplacé a droit à son portrait en pied…
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L’appartement-atelier de Sébastien Mettraux regorge d’objets anciens issus du passé industriel de la Suisse. Des outils d’horlogerie dont le mode d’emploi est perdu mais qui fascinent toujours par l’harmonie de leurs formes. Une machine à coudre Elna, un antique projecteur de diapos, une Hermès Baby à caractères cyrilliques… En 1989, l’âge d’or de la micromécanique vaudoise se termine. Bolex, Thorens et Hermes-Precisa disparaissent. Trente ans plus tard, l’artiste s’apprête à rendre hommage à cette merveille qu’est la machine à écrire. Il prépare Rock Me Baby, une exposition qui célèbre l’outil de Kerouac, Hemingway et Max Frisch. A découvrir en octobre à Yverdon-les-Bains.
Profil
1984 Naissance à Vallorbe.
2006 Diplôme supérieur d’arts visuels à l’ECAL, Lausanne.
2012 Master en arts visuels à la HEAD.
2015 «Ex Machina». Bourse culturelle Leenaards.
2019 Installation vidéo à la Maison d’Ailleurs. Prix du patrimoine vaudois des Retraites populaires.
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