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Shakespeare, un visage sur le mystère

Un portrait du dramaturge a été présenté lundi à Londres. C’est le seul connu et authentifié réalisé du vivant de l’artiste.

La maison irlandaise d’Alec Cobbe ressemble chaque année davantage à une poche de pantalon où l’on trouverait régulièrement de l’argent. En 2007 déjà, la grande collection de pianos du restaurateur d’œuvres d’art recelait un instrument ayant appartenu à Frédéric Chopin. Un trésor immense. Un an plus tôt, Alec Cobbe découvrait que sa bâtisse près de Dublin avait une valeur inestimable puisqu’elle était la première dans son pays à avoir été dessinée d’après les critères et les goûts britanniques. Aujourd’hui, il est devenu le dépositaire d’une autre rareté, mieux, d’un objet unique. Soit le seul portrait de William Shakespeare connu et ­désormais authentifié, réalisé du vivant du poète et dramaturge. Présentée lundi à Londres par des représentants du Shakespeare ­Birthplace Trust (Fondation du lieu de naissance de Shakespeare), la toile a fait l’effet d’une bombe.

Selon un des plus grands experts en affaires shakespeariennes, le professeur Stanley Wells, le visage débonnaire et apaisé représenté sur la toile est celui de l’homme de lettres restitué au pinceau en 1610. L’illustre sujet du tableau est âgé alors de 46 ans et il lui en reste encore six à vivre. De son encrier et de sa plume sortent à cette époque les mots de la tragédie Antoine et Cléopâtre, mais ceux aussi des romances Le Conte d’hiver et Cymbeline et ceux d’un grand chef-d’œuvre, La Tempête. Une période féconde, donc, dans la vie de l’artiste.

L’annonce de la découverte a très vite fait le tour de la planète. Derrière la vitesse de sa propagation, il y a pourtant un long travail d’enquête et d’analyse. Il aura fallu aux experts trois ans de scrutations attentives de cet objet précieux, de passages répétés aux rayons X, d’observations têtues des pigments pour formuler la quasi-certitude de son authenticité. Les probabilités favorables sont, selon Stanley Wells, de 90%. La même éminence soutient que le restant, la part de doute, relève de l’impondérable, particulièrement incompressible dans tout ce qui a trait à la peinture.

Un scénario semble désormais à exclure pour toujours: ce visage ne sera plus celui de l’écrivain et poète Walter Raleigh, favori d’Elisabeth Ire, décapité le 29 octobre 1618 à la Tour de Londres. La famille Cobbe, qui possède le tableau depuis plusieurs siècles, y a longtemps cru. Il en aurait été ainsi pendant plusieurs générations encore si Alec Cobbe ne s’était pas rendu, en 2006, à une exposition temporaire à la National Portrait Gallery de la capitale d’Angleterre. C’est ici qu’il tombe nez à nez sur un autre portrait de Shakespeare, qu’on croyait réalisé de son vivant jusqu’à ce qu’une expertise infirme cette thèse. Cobbe y décèle pourtant des ressemblances troublantes entre les traits de ce personnage et ceux de son tableau. Très vite, il a l’intuition d’être le propriétaire de l’original et de se trouver face à l’une des multiples copies réalisées après la mort du dramaturge. L’appel à la rescousse des experts et les travaux d’investigation lui donneront raison.

Les passionnés pourront désormais se rapprocher de la représentation picturale d’un génie qu’on ne connaissait que très mal. Dès le 23 avril, son regard espiègle et son sourire à peine prononcé seront visibles à Stratford-upon-Avon, sa ville natale au centre de l’Angleterre. Encore faudra-il être sûr que Shakespeare a bien existé et n’était pas en réalité le diplomate élisabéthain Henry Neville. La thèse révolutionnaire qu’avance ces jours-ci l’historien Casson ferait perdre le plus important de ses trésors à la maison irlandaise d’Alec Cobbe.

Le tableau sera visible dès le 23 avril à Statford-upun-Avon, la ville natale de l’écrivain