Au sol, un sein géant… ou quelque chose qui y ressemble. Surplombé par un genre d’ovaire XXL, se tortillant au milieu d’autres membres non identifiés. Ces grosses pièces souples et couleur chair, entremêlées, évoquent un amas d’organes reproducteurs, sans qu’on puisse distinguer le masculin du féminin. «L’idée est celle des devenirs multiples: dépasser le concept de genre figé pour devenir juste un être humain», détaille Nathalie Rebholz, la créatrice de l’installation The becomers. Qui précise: «Ce sont des coussins, donc on propose aux gens de venir s’asseoir au milieu.»

Bienvenue dans le monde fantasque et étonnant de Spielact, tout nouveau festival genevois qui s’amuse à mêler, pendant dix jours, art contemporain et ludisme. Au total, plus de 60 artistes locaux se sont pris au jeu, concevant une vingtaine d’installations, de performances participatives et de workshops répartis dans 16 lieux du bout du lac. Avec, pour objectif, d’inviter le public à réfléchir et partager sur des problématiques de société.

Abaisser les barrières

«Le jeu est un excellent outil de médiation culturelle, pour transmettre des messages complexes ou qui paraissent ennuyeux au premier abord», souligne Amira El May Lakhoua, fondatrice de Spielact. Elle n’en est pas à sa première partie: il y a trois ans déjà, la Genevoise lançait DesGensBien, un studio de création d’objets ludiques «made in Switzerland». Depuis, elle explore le potentiel du lâcher-prise. «Il faut se laisser aller, se faire plaisir et abaisser ses barrières. En jouant, on libère notre imagination, ce qui permet ensuite de créer de nouveaux possibles.»

Divertir, mais surtout créer et inspirer. C’est dans cette optique qu’Amira El May Lakhoua a réuni une équipe de plasticiens, designers et architectes de la région, leur proposant de concevoir, seul ou en duo, une installation et/ou une performance ludiques autour d’un de ces trois axes: la cité du futur, l’humain augmenté, le genre et la sexualité. Des thématiques qui nécessitent d’être explorées avec un regard différent pour éveiller les consciences, estime Amira El May Lakhoua. Qui a donné carte blanche à ses artistes, impatiente de les voir sortir de leurs zones de confort respectives.

Rouleau anticellulite

Et le résultat se révèle aussi étonnant qu’éclectique. Dans le studio Andata Ritorno, à quelques pas de l’Usine, la thématique choisie est limpide. Outre l’enchevêtrement de coussins non genrés, on découvre une série d’objets semblables à des instruments de torture. Un drôle de casque clouté, d’abord, qui représente en fait un outil permettant de réaliser un maquillage parfaitement calibré. Puis un rouleau de massage anticellulite, en version métallique, ce qui lui confère un aspect étrangement barbare.

«Je m’intéresse aux femmes et aux contraintes du corps, explique Kleio Obergfell, l’artiste, pointant un vibromasseur mécanique des années 1980 qui était utilisé comme traitement contre l’hystérie. Ces objets ont été fabriqués pour mettre en valeur comme pour torturer.» Au mur, les photos d’une silhouette sans visage, qui se braque un sèche-cheveux sur la tempe ou époussette une maquette, évoquent le confinement des femmes dans l’espace domestique.

Spielact veut inviter les visiteurs à interagir avec les œuvres et c’est le cas de Chère Lady, de Victoria Maréchal, qui leur propose de s’adresser, à travers des poèmes, slam ou des vidéos, à Ladyzunga, une personnalité d’origine colombienne. Aujourd’hui décédée, celle-ci militait pour se défaire des étiquettes de genre, de classe ou de sexualité – et avait même changé son nom en «ABCDEFG HIJKLMN», symbole de sa désidentification et ultime provocation…

Orage artificiel

Jeux d’émancipation, de manipulation, de simulation aussi, pour marquer les esprits. Autour du climat par exemple. Le 8 juin, une conférence performative d’anticipation, Ecologie de l’imaginaire, nous projettera en 2072, alors que le public redécouvre les archives sonores et visuelles des années 20… 2020, donc. Suivi d’un apéro workshop, le rendez-vous nous invite à réfléchir au présent, et à la cité du futur.

Le projet Storm Distraction 2440, de Lucas Genas et du Studio Z1, imagine quant à lui un monde où les variations météorologiques n’existeraient plus, mais seraient recréées comme un divertissement payant. Le 6 juin au Duplex, à 20h, vous vivrez un orage artificiel. Une performance à l’image de Spielact: immersive et remuante.


Spielact Festival, dans divers lieux à Genève. Jusqu’au 9 juin.