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En 50 artistes et huit lieux, la manifestation initiée par l’Institut du monde arabe offre une multiplicité de regards sur une région en mutation

Evidemment, il faut avoir envie de se promener au cœur de Paris. Sur la vitrine de la galerie Basia Embiricos, la première que l’on croise en arrivant de la gare de Lyon, un panneau indique que l’exposition est suspendue «suite aux tragiques événements du 13 novembre et aux tensions qui règnent dans le contexte actuel». Elle devrait reprendre cette semaine. La première Biennale des photographes du monde arabe contemporain a ouvert ses portes le 11 novembre, deux jours avant les attentats. Elle mérite assurément le détour.
Initiée par Jack Lang, président de l’Institut du Monde arabe, et répartie en huit lieux des quatrième et cinquième arrondissements de la capitale, la manifestation propose les travaux de 50 artistes sur le Maghreb et le Moyen-Orient. La plupart, et c’est bien, sont originaires de ces régions, quelques autres posent des regards extérieurs. Si certaines séries présentent une vision attendue – palais marocains ou gosses jouant dans les rues avec trois bouts de ficelle, beaucoup développent une approche très contemporaine et parfois plasticienne. Comptez une bonne après-midi pour faire le tour. Morceaux choisis pour les gens pressés.
Maher Attar, galerie Photo 12
Une cité luxuriante plantée dans le sable du désert. C’est l’image immédiate, lorsque l’on évoque le Qatar. Le Libanais Maher Attar, installé dans la péninsule, a souhaité remonter aux sources. Avec un appareil Lomography et des pellicules périmées, il a photographié ces lieux et ces instants qui semblent hors-temps. Des keffiehs sur un porte-manteau. Un mur de pierre plate. Une corde sur un bateau. La technique, qui rend les images vaporeuses, contribue à ce sentiment de douceur et d’éternité. Loin d’une cité trépidante et moderne.
Andrea & Magda, Maison Européenne de la photographie
La démesure et le vide. Au bord de la mer Rouge, hôtels et infrastructures ont poussé trop vite, rendus obsolètes par la crise économique et les problèmes sécuritaires. Là, des bâtiments sans vitres entourent une piscine sans eau; on ne sait pas s’ils n’ont jamais été terminés ou s’ils sont abandonnés depuis trop longtemps. Plus loin, des musiciens et des marionnettes géantes assurent le show pour un public invisible. Une réplique du sphinx attend le visiteur à côté d’une fausse pyramide. Dans un museum, des hommes figés figurent parmi les animaux empaillés; mannequins ou guides au chômage technique? Une réflexion sur le tourisme, ses dérives et sa fragilité.
Massimo Berruti, Maison Européenne de la photographie
Ce travail sur la problématique de l’eau dans la bande de Gaza a obtenu le Prix Photo de l’Agence française du développement. Dans un noir et blanc très sombre et contrasté, Massimo Berruti montre un paysan à côté d’un puit désaffecté, une rivière encombrée de déchets, des réfugiés parmi les gravats. Et puis cette image, d’une force incroyable, présentant une petite fille et son frère, un jerrican à la main; ils descendent un escalier qui semble ne tenir qu’à un fil, dans une maison dont la façade n’existe plus.
Stéphane Couturier, Maison Européenne de la photographie
Climat de France, c’est une citée plantée dans le quartier Bab El Oued, à Alger. Sur un tirage immense, une barre occupe la moitié de l’espace. Multitude de fenêtres, toutes identiques, distinguées seulement par des rideaux plus ou moins blancs et du linge accroché ici et là, couverture d’antennes paraboliques. Vertiges de l’achitecture collective. Deux femmes, minuscules, accoudées à un carreau. La mer, au second plan, semble une promesse lointaine. D’autres images s’approchent des façades, révèlent la peinture écaillée et les motifs des tentures, le chat qui sommeille. Sommes-nous en Algérie ou dans une banlieue française? Sur des écrans, des portraits vidéo. Six hommes vous observent plus ou moins fixement, une paupière cligne. Qui es-tu? Sommes-nous si différents?, semblent questionner les regards. Echo étrange aux attentats du 13 novembre.
Histoire(s) contemporaine(s), Institut du Monde arabe
L’Institut du monde arabe propose une exposition collective de 29 photographes, regroupés en quatre grands thèmes. Panorama global et hétéroclite de ce que l’on nomme «le monde arabe». Avec «The Wall», Joe Kesrouani pointe l’urbanisation galopante et non-planifiée de Beyrouth. Myriam Abdelaziz, elle, se penche sur les enfants travaillant dans les carrières de Menya, en Egypte. Des clichés quasiment blanc, rendus opaques par la poussière de pierre, d’où surgissent de petits êtres en plein labeur. L’exposition en montre trop peu. Giulio Rimondi dévoile l’intérieur des cabanes de réfugiés syriens au Liban. Un poster épinglé sur un mur de bâches et de tissus raconte le provisoire qui dure. Amélie Debray dit le football en terre palestinienne. Tanya Habjouqa évoque le quotidien des veuves de combattants syriens, à travers un objet. Celui qu’elles ont pu emporter dans leur fuite. Diana Matar, enfin, aligne des vues lybiennes, neutres, frontales. Un immeuble, une place, des palmiers. Les légendes indiquent qu’à cet endroit, une exaction a été commise par le régime de Muammar Khadafi.
Première biennale des photographes du monde arabe contemporain, jusqu’au 17 janvier à la Maison européenne de la photographie, à l’Institut du Monde arabe, à la Cité Internationale des Arts, à la Mairie du 4è et aux galeries Photo 12, Binôme, Basia Embiricos et Graine de photographie.