Une nouvelle ère s’ouvre au Mamco
Musée
Avec Lionel Bovier à sa tête, le Musée d’art moderne et contemporain s’est complètement transformé. Visite des nouvelles salles en exclusivité avec le nouveau directeur qui s’impose déjà comme une figure incontournable de la scène culturelle genevoise

Il n’a pas perdu une seconde. Arrivé le 1er janvier dans le fauteuil de directeur du Musée d’art moderne et contemporain (Mamco) de Genève, Lionel Bovier aura donc mis un peu moins de six mois pour réaménager et repenser cette institution dont il a désormais la charge. Et à peine plus de temps pour élaborer le livre qui retracera 20 ans d’expositions du musée et sortira en septembre. Mardi 31 mai, le public pourra donc voir le nouvel accrochage de ce bâtiment de quatre étages et de 3 500 mètres carrés de surface d’exposition. Et pour le coup, remarquer qu’au 10 de la rue des Vieux-Grenadiers, il y a du changement, forcément.
A nouveau directeur, nouvelle manière de raconter une histoire de l’art qui, dans ce cas précis, démarre au début des années 60 aux Etats-Unis. Son titre? Récit d’un temps court.
Dans son bureau, Lionel Bovier parle de tout: de l’accueil qu’il va falloir transformer, de la nécessaire réflexion sur les espaces communs du bâtiment et de leurs accès. Une musique d’avenir qu’il veut faire jouer rapidement.
Il s’est aussi construit des outils: posée sur une table, une grande maquette du Mamco lui permet de tester, en modèle réduit, l’efficacité de ses accrochages dans des minisalles en contreplaqué.
New York – Genève
Christian Bernard, son prédécesseur et fondateur des lieux, il y a 22 ans, avait imaginé un musée très personnel, où les œuvres servaient sa vision à la fois littéraire et poétique de l’art. Lionel Bovier a lui aussi puisé dans sa biographie pour marquer son territoire. Mais pour dire autre chose. On le sait très proche de cette avant-garde suisse représentée par
Olivier Mosset et John Armleder. Au quatrième étage, à deux portes de son lieu de travail, il a choisi de montrer comment les deux artistes, résidants new-yorkais dans les années 80 – permanent pour le premier, en alternance pour le second – ont transmis l’esprit de l’art américain de ces années aux artistes suisses. Et plus particulièrement à une génération travaillant à Genève. D’où cette exposition collective et temporaire. Intitulée GVA-JFK (du nom des deux aéroports), elle montre la relation entre deux villes «observée selon un point de vue qui évoque celui de John Armleder lorsqu’il organise à Genève les expositions «Peinture abstraite» en 1984 et «Peinture» en 1993. Et donc aussi un peu le mien, ces deux événements ayant exercé sur moi une influence durable.» Le pari de l’accrochage est de montrer les échanges incessants entre ces deux scènes et les traces qu’ils ont laissées sur les artistes, mais également dans les collections publiques et privées. «Pour aller au bout de cette logique, j’ai décidé de ne rien emprunter en dehors de Genève», reprend Lionel Bovier chez qui le dialogue transatlantique fonctionne dans les deux sens. Il y a des pièces d’artistes d’ici (Francis Baudevin, Christian Floquet, Sydney Stucki, Helmut Federle, Stéphane Dafflon, Philippe Decrauzat, Sylvie Fleury, Francesca Gabbiani, Alexandre Bianchini) mais aussi de là-bas (Peter Halley, Alix Lambert, Cady Noland ou encore Karen Kilimnik). La photographie enthousiasmante d’une certaine époque.
Mais le gros du raccrochage continue juste en dessous. Au troisième, le Récit d’un temps court commence sa séquence avec une sculpture de George Segal, un couple – elle dans un lit, lui qui la regarde – moulée dans cette bande plâtrée typique de l’artiste américain. La pièce de 1967, l’une des premières donnée par l’Amam avant la création du Mamco, voisine avec deux tableaux de parcmètres de la même époque, signés Vern Blosum, l’artiste fantôme sur lequel on ne sait absolument rien. Les deux proposent une certaine idée de la réalité. Ils annoncent aussi l’ultime sursaut du Pop Art juste avant l’avènement de l’Art minimal. Dans la salle suivante, les toiles lignées de Kenneth Noland qui font face aux «colorfield paintings» de Jules Olitski annoncent la couleur. Le grand néon de Dan Flavin un peu plus loin fait entrer le visiteur dans le vif du sujet. La pièce n’appartient pas au Mamco, du moins pas encore. «Je fais vraiment une distinction entre les œuvres de la collection et celles qui sont là de manière temporaire. Les pièces qui nous appartiennent seront marquées par un cartel de couleur grisée.» Car des œuvres, il a fallu en trouver. Le musée possède certes des richesses dans ses dépôts – les séries de Larry Johnson, les Sherrie Levine que Lionel Bovier a réunies dans une seule salle comme à la grande époque – mais il y avait des trous dans cette mémoire de l’art que le directeur a voulu réveiller.
Il a pu compter sur son réseau bien étoffé pour les remplir. «Les institutions du pays et les collectionneurs privés ont généreusement prêté.» C’est le cas du galeriste Pierre Huber, de la collection Syz et de la collection de Michael Ringier, que Lionel Bovier connaît bien pour avoir construit sa maison d’édition avec lui. «Pour autant, ça n’a pas toujours été simple. Il faut toujours convaincre ces acteurs, leur expliquer qu’on travaille sur les questions de sécurité des pièces et de gardiennage, que le flux des visiteurs est régulé. Même si je veux conserver la tradition du Mamco d’un minimum de mise à distance entre l’œuvre et celui qui la regarde, les questions de sécurité prennent de plus en plus d’importance.» L’architecture des étages a parfois été revue, l’enfilade des couloirs réaménagée pour réserver des échappées. Certaines salles autrefois obscurcies par des stores reviennent à la lumière, «mais on n’y exposera plus de tableaux. Le bâtiment a beaucoup de fenêtres et la luminosité y est souvent trop violente». Des textes explicatifs, en deux langues, apparaissent sur les murs. Ils sont recouverts de panneaux en plexiglas fluo pour les distinguer immédiatement des œuvres accrochées.
Appartement payé
Si la grande majorité des prêts viennent de Suisse, la raison n’est pas uniquement motivée par des soucis d’économies. «En matière d’art contemporain, notre pays est incroyablement riche», reprend le directeur. Alors oui, si j’avais monté une exposition sur le surréalisme, les choses auraient été très différentes, mais pour l’art contemporain, j’ai trouvé en Suisse toutes les œuvres que j’avais inscrites sur ma liste.»
L’Appartement de Ghislain Mollet-Viéville, lui, fait partie des meubles. Ce dernier représente l’intérieur de ce collectionneur parisien qui, avant tout le monde, avait saisi le potentiel de l’art minimal et conceptuel, aussi bien européen qu’américain. Exposé depuis l’ouverture du musée en 1994, il est en cours d’acquisition par celui-ci. «Lorsque vous avez présenté, conservé, étudié et donc investi dans un ensemble de pièces pendant 20 ans, il n’est pas déraisonnable d’envisager de l’acheter.» Si la somme est tenue secrète, on imagine que vu les prix du marché, les Buren, Sol LeWitt et Donald Judd rassemblés par le Français ont dû peser sur le budget. «L’Appartement sera payé sur deux ans. Pour Ghislain Mollet-Viéville il était important que cet ensemble qui reproduit un endroit où il a vécu reste ici. Cela dit, la Fondation Mamco n’a pas tout acheté. J’ai ainsi pu choisir quels éléments de cette collection m’apparaissaient essentiels.»
Le bureau, autrefois attenant à L’Appartement, a, par exemple, disparu. A la place, Lionel Bovier a installé un conservatoire de livres d’artistes dans une bibliothèque vitrée. «C’est une manière d’inventorier et de présenter ce type d’œuvres que les musées stockent d’ordinaire dans des armoires.»
Dons d’artistes
Si tous les murs du musée ont retrouvé leur blancheur, c’est pour laisser entrer la lumière. «Et, sourit-il, c’est sans doute une économie réelle sur le budget peinture… Sérieusement, je pense qu’il faut concentrer les moyens budgétaires sur la collection.» La collection, le motto du directeur, sa priorité, son trésor de guerre. «Aucune exposition n’est justifiée si elle ne prend pas appui sur elle et si elle ne la modifie pas.»
Comprenez que chaque nouvelle présentation sera l’occasion de la compléter. «Contrairement à une Kunsthalle, qui présente l’art en train de se faire et qui produit des œuvres avec des artistes, le musée fabrique de l’histoire et enregistre des moments de l’art qui autrement risqueraient de disparaître. Le Mamco a fait des choix courageux au cours de son histoire. Lorsque Christian Bernard achetait des ensembles de Franz Erhard Walther et Siah Armajani il ne suivait ni la mode ni le marché. A nous maintenant de capitaliser sur ces acquis, notamment en les prêtant à d’autres musées, en Suisse et à l’étranger.»
Lionel Bovier espère ainsi augmenter la collection du Mamco avec des pièces de Charlotte Posenenske qui occupent un long plateau du troisième. Une belle découverte, pure et dure comme on les aime. Décédée en 1985 et active une petite dizaine d’années, la minimaliste allemande utilisait des modules semblables à des gaines d’aération industrielles pour créer ses sculptures géométriques zinguées. Elle déléguait ensuite aux galeristes ou au curateur le soin de les assembler comme ils l’entendaient. Mettre en valeur des ensembles et les augmenter, c’est aussi une volonté du nouveau directeur. Au cours des 500 expositions de son histoire, le Mamco a reçu beaucoup de dons de la part des artistes qu’il a invités. C’est le cas aujourd’hui de Jim Shaw qui offre un ensemble de «Dream Objects» regroupés dans une salle qui évoque celle qu’il avait organisée pour sa rétrospective au musée. Ou de John Miller, qui offre une installation au musée pour l’arrivée de son nouveau directeur.
Lionel Bovier travaille aussi sur des collaborations qui garantissent une présence des œuvres à long terme. Une salle présente des travaux rares de General Idea, ce collectif canadien actif dans les années 80 et malheureusement décimé par le sida. «Il n’y avait pas d’œuvre dans la collection. Je travaille avec AA Bronson, son dernier représentant, pour imaginer différentes présentations du groupe et m’assurer que celles-ci laissent des traces au Mamco», explique le directeur. Le parcours poursuit son histoire de l’art de la fin du XXe siècle avec les Américains de la «Pictures Generation», les tenants européens de l’esthétique relationnelle et les peintres new-yorkais des années 2000, notamment Wade Guyton, dont une grande exposition de pièces nouvelles est prévue cet automne en association avec le Consortium de Dijon.
La Forêt revient
«Le Mamco a aussi la particularité d’être un musée qui collectionne des espaces. C’est le seul endroit que je connaisse qui conserve une grotte (celle de Sylvie Fleury), un appartement, un atelier ou encore une forêt et les présente au cœur de son dispositif, non pas comme des installations, mais comme des entités avec une fonction déterminée.
Ce sont des pièces singulières que je veux mettre en évidence et sur lesquelles je trouve intéressant de communiquer auprès du public étranger.» La Forêt, justement.
Au premier étage, au fond de la grande salle, un atelier roule les boules de papier qui serviront a bourrer les troncs en feutre de l’œuvre de Xavier Veilhan. En 1999, Lionel Bovier exposait l’artiste français ici même avec un projet autour de l’économie de la Ford T. En 2017, Veilhan lui a demandé de réfléchir, avec l’artiste suisse Christian Marclay, à son pavillon sonore représentant la France à la Biennale de Venise. 2017 c’est dans une année, mais c’est déjà demain. Le directeur du Mamco n’a pas une seconde à perdre.
A voir
«Récit d’un temps court», vernissage le mardi 31 mai dès 18h. Exposition jusqu’au 4 septembre, Mamco, 10 rue des Vieux-Grenadiers, Genève,