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A Venise, la Suisse réfléchit sur la notion de frontière

La 17e Biennale d’architecture de Venise a ouvert ses portes ce week-end. Le pavillon helvétique propose de s’immerger dans «Oræ - Experiences on the Border», un projet interdisciplinaire d’une brûlante actualité

Le Pavillon suisse de la Biennale d'architecture 2021 de Venise se situe dans les Giardini della Biennale. — © Andrea Merola / EPA / Keystone
Le Pavillon suisse de la Biennale d'architecture 2021 de Venise se situe dans les Giardini della Biennale. — © Andrea Merola / EPA / Keystone

Ils n’ont pas attendu le covid pour repenser les frontières, mais le covid leur a donné raison. Ils, ce sont Mounir Ayoub et Vanessa Lacaille, du Laboratoire d’architecture à Genève, le réalisateur et producteur Fabrice Aragno, et enfin le plasticien Pierre Szczepski. Leur projet, Oræ - Experiences on the Border («oræ» signifiant frontières en latin), a été sélectionné par Pro Helvetia parmi 51 candidatures pour représenter la Suisse à la 17e Biennale d’architecture de Venise. Reportée d’une année en raison de la pandémie, la manifestation vient d’ouvrir ses portes et accueillera les visiteurs jusqu’au 21 novembre. Pilotée cette année par l’architecte libanais Hashim Sarkis, cette édition explore parallèlement une problématique des plus actuelles: «How will we live together?» (comment vivrons-nous ensemble?).

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Rien de plus flou qu’une frontière, direz-vous. Vous n’avez pas tort. Et l’équipe lauréate ne le cache pas. Elle en fait même un atout. Tout en affirmant qu’il s’agit de l’aborder dans sa perception sensible et sociale comme un phénomène aussi bien spatial que politique, elle se propose d’y découvrir le véritable «laboratoire du XXIe siècle». Le résultat? Révélé lors d’une conférence de presse inaugurale en partie en ligne, il se révèle plus immersif que discursif. Au programme, un film, des portraits, des photos de paysages, des cartes, et une quarantaine de maquettes. Beaucoup d’histoires à découvrir, souvent émouvantes. Et l’occasion d’interroger, par le regard, un processus qui compte presque autant que son aboutissement.

Territoire réel et territoire fabriqué

Ce «périple de recherche en plusieurs étapes», selon l’expression de Madeleine Schuppli, commissaire du pavillon suisse, a démarré en 2019 par un travail de terrain. Se déplaçant à bord d’un camion aménagé en studio, les membres de l’équipe sont allés à la rencontre des habitants de la frontière entre la Suisse et les pays voisins. Ils les ont interrogés «sur la réalité physique de leur territoire quotidien autant que sur sa représentation». Les participants ont d’abord été invités à raconter ce lieu complexe de passages plus ou moins contrôlés, de flou, d’incertitude. On leur a ensuite demandé de réaliser une maquette et de conduire l’équipe dans les endroits qu’ils avaient modélisés. Le contraste entre le territoire réel et le territoire fabriqué était saisissant. Et l’ensemble de l’expérience a été filmé.

© Andrea Merola / EPA / Keystone
© Andrea Merola / EPA / Keystone

Initié dans la région de Genève, le travail s’est ensuite poursuivi aux quatre coins du pays avec des interlocuteurs aussi divers que le marin d’un ferry sur le lac de Constance ou des requérants d’asile au Tessin. Après sept mois de tournée et plus de 9000 kilomètres parcourus, après avoir collaboré étroitement avec plus de 80 personnes et découverts «d’innombrables lieux, parfois improbables», l’équipe s’est lancée dans la retranscription, le montage des images et la production d’une grande maquette. Avec la conclusion qu’«à la frontière, la relation aux choses est plus importante que les choses elles-mêmes».

Pour résister aux désirs de cloisonnements

C’est alors qu’est arrivée la pandémie. Les frontières se retrouvaient brutalement au cœur de l’actualité. Avec leur fermeture, les documents récoltés ont pris soudain un tout autre statut. Architectes, artiste et cinéaste ont donc décidé de retourner sur le terrain et de transformer le camion en forum itinérant proposant, dans cinq communes frontalières, des ateliers de discussion et d’écriture collective aux habitants qui avaient participé à la première phase du projet.

Interrogés aujourd’hui sur ce processus, les quatre compères se méfient des conclusions hâtives. Que la frontière soit bonne ou mauvaise, telle n’est pas la question, rappellent-ils. Ils ont notamment pris conscience que ces territoires incertains peuvent être fascinants pour les uns et source de cauchemars pour d’autres. Une chose leur semble sûre en tout cas: les frontières sont des territoires riches, complexes et fascinants où il leur faudra revenir, pour y travailler, pour s’y engager. Avec la conviction, comme ils l’expliquent dans le guide-catalogue qui accompagne l’exposition, que dans «un monde hyper-contemporain construit de plus en plus sur les retours identitaires et les désirs de cloisonnements, la frontière pourrait être paradoxalement un endroit possible pour y résister».

Biennale d’architecture 2021, Venise, jusqu’au 21 novembre. L’exposition du Pavillon suisse est accompagnée par un guide-catalogue édité par Lars Müller Publishers.