Paolo Caliari est né en 1528, fils d’un tailleur de pierre et de la fille illégitime d’un noble de Vérone, Antonio Caliari. C’est ainsi que commence l’histoire, celle d’un peintre qui deviendra pour des siècles Véronèse. Alessandra Zamperini la conte avec érudition et passion dans de longues envolées, où l’on se perd parfois parmi les multiples personnalités de Vérone et de Venise qui font l’époque. Elle-même est professeur d’histoire de l’art à l’Université de Vérone et elle est retournée aux sources, a plongé dans les archives pour éclairer les zones d’ombre de la vie et de la production picturale de Véronèse.

On trouve ainsi, au fil de ce récit un peu trop dense, une somme de renseignements sur le peintre et son milieu, ses commanditaires, ses relations avec les autres grands – Titien son aîné, le Tintoret son contemporain bien sûr. Mais aussi par exemple ses relations avec Giambattista Ponchino et Giovanni Battista Zelotti, les deux peintres avec qui il réalise, dans ses premières années vénitiennes, dès 1553, les fresques des salles des Dix, dans le palais ducal. Très vite, Véronèse est en effet un des plus fameux employés de la «République».

Au palais ducal comme à la bibliothèque Marciana, dont il est aussi un des peintres, ses talents de coloriste fin s’étalent sur les murs et les plafonds, dans des allégories raffinées, à la fois équilibrées dans leurs proportions, infiniment gracieuses et totalement renversantes. Bien sûr, tout ce travail perd de sa majesté ramené aux proportions d’un livre, même d’assez grand format. Mais on peut prendre ici le temps de contempler l’expression d’un visage, de se glisser dans l’échange d’un regard, sans être dérangé par de disharmonieux touristes et sans craindre un torticolis. On peut aussi avoir envie de faire aussitôt le voyage de Venise et d’aller apprécier une bonne partie de ses trésors dans le calme hivernal. Une partie seulement, puisque sont aussi réunies ici des toiles dispersées dans les musées du monde entier, que ce soit celles de Véronèse ou de quelques-uns de ses contemporains italiens.

A la manière de cette Lucrèce (photo), choisie pour la couverture, que possède le Kunsthistorisches de Vienne. Lucrèce, qui a enfoncé en son sein le poignard, Lucrèce qui défaille. L’histoire de cette femme qui se suicide après un viol et demande vengeance à son mari et ses enfants est appréciée dans la Venise du XVIe siècle, car elle est réputée fondatrice de la République romaine après la royauté étrusque, explique Alessandra Zamperini. Véronèse donne à voir tout à la fois le crime de la volupté et la vie qui s’en va, deux drames en une image. La dame est gracieuse, ornée de bijoux qui disent son rang social, mais elle chute vers la mort, inexorablement. La peinture de Véronèse raconte merveilleusement, elle fascine aussi par la magnificence des coloris, comme les verts de ce tableau.

Véronèse, Alessandra Zamperini. Trad. de Denis-Armand Canal. Imprimerie nationale, 360 p. Env. 186 francs