Il file sur les pavés de Wooster Street comme quelqu’un sur qui la pesanteur ne semble pas avoir d’effet. Costume noir sans cravate qui lui confère l’officialité de sa nouvelle fonction, Simon Castets a donné rendez-vous dans son nouvel espace professionnel dans le quartier de Soho, à Manhattan. En ce matin presque hivernal, dominé par un soleil gris, il donne l’impression de vouloir conquérir le monde. Depuis peu, il est le nouveau directeur du Swiss Institute, un centre d’art contemporain qui a pignon sur rue à New York. Fabienne Abrecht, présidente de l’institution, se souvient du premier jour que ce jeune Français a passé au 18, Wooster Street: «On lui a présenté la chaise du directeur. Il s’y est assis dans les dix secondes et y est resté. C’est ça New York. D’autres auraient mis deux jours à comprendre.»

A 29 ans, Simon Castets reprend le flambeau du Swiss Institute après que ses prédécesseurs Marc-Olivier Wahler et Gianni Jetzer ont réussi à le placer sur la carte des institutions d’art contemporain qui comptent à New York. Le regard espiègle qui trahit un mélange d’insouciance, d’audace et de timidité, le jeune homme, qui a passé les 17 premières années de sa vie dans la ville normande de Caen avant d’aller étudier la littérature française à la Sorbonne, puis le management de la culture à Sciences Po, vit une passion qui l’absorbe. Complètement. A New York depuis sept ans, où il a poursuivi des études en curating, ou commissariat d’exposition, à l’Université Columbia, il connaît désormais les codes de la ville et du domaine dans lequel il évolue: l’art contemporain. Avant d’entamer la discussion, il explique déjà l’exposition de l’Américaine Allyson Vieira, The Plural Present, un dialogue entre des structures anciennes et nouvelles. Devant des poutres métalliques qui s’élancent jusqu’au plafond, il s’empresse de préciser que son institution n’a pas simplement importé l’installation de Vieira, conçue en Suisse avec des matériaux suisses pour la Kunsthalle de Bâle: «L’artiste a réinventé son installation en fonction de l’espace ici à Soho.»

Le très transatlantique directeur du Swiss Institute, qui fait souvent la navette entre la Suisse, la France et les Etats-Unis, n’est pas confiné en un espace restreint. Ayant déjà travaillé en Chine, au Japon et au Brésil, il a fait ses armes en collaborant avec la Centre Pompidou Foundation, aux Etats-Unis, pour établir des ponts entre l’institution parisienne et les artistes américains. Il a aussi appris le métier en côtoyant Marc-Olivier Wahler quand ce dernier dirigeait le Palais de Tokyo à Paris. «L’art contemporain, s’enthousiasme Simon Castets, est une chance extraordinaire de pouvoir rencontrer des artistes vivants, de converser avec eux. Cela ne veut pas dire que je dénigre l’art plus ancien. J’adore les temperas du XVe siècle.»

Quand il était encore installé dans une maison de brownstone de l’Upper West Side, le Swiss Institute, créé en 1986 par des artistes suisses expatriés à New York, avait pour ambition d’intéresser avant tout les Suisses de New York. Le conseiller fédéral Pascal Couchepin y faisait une visite à chaque fois qu’il était dans la ville. Aujourd’hui, dans l’environnement ultra-compétitif de l’art contemporain, le Swiss Institute, qui vit du soutien de Pro Helvetia, de dons et de sa soirée et vente aux enchères annuelles, ne renie pas ses racines suisses. Mais il s’est affranchi de sa pure appartenance nationale pour devenir une institution new-yorkaise incontournable. Une question de survie. C’est surtout Marc-Olivier Wahler qui a commencé à insérer le Swiss Institute dans une niche. Gianni Jetzer a poursuivi sur cette lancée. Pour l’ambassadeur François Barras, qui gère le consulat général de Suisse à New York, le Swiss Institute se présente comme «un lieu important de réflexion sur l’art contemporain, à l’image du carrefour culturel qu’est devenue la Suisse dans ce domaine.» La nomination d’un Français à la tête de l’institution s’inscrit dans cette logique. L’ambassadeur s’amuse d’ailleurs à souligner que les New-Yorkais se sont approprié l’image moderne de la Suisse jusque dans leur langage: «Are you BASELing up this year?» avancent-ils en guise de jeu de mots pour demander si on se prépare à aller à la foire d’art contemporain d’Art Basel à Miami (lire ci-dessous). Simon Castets, qui est présent aujourd’hui à Miami pour participer à un débat, est d’ailleurs conscient du joyau dont il hérite: «Le Swiss Institute a une identité unique qui sait intégrer des éléments distinctement nationaux dans une dynamique internationale.»

L’institution suisso-new-yorkaise, admet Fabienne Abrecht, n’était pas à la recherche d’une personnalité qui allait apporter tout son bagage personnel dans l’aventure. «Simon Castets connaît très bien le programme du centre. Il est très sociable, a un bon réseau et n’hésite pas à se déplacer pour rencontrer du monde. Des qualités nécessaires dans un secteur artistique qui explose.» La présidente du Swiss Institute, qui vit entre New York et Bâle, ne cache pas qu’elle va entreprendre, au début 2014, une grande tournée en Suisse avec Simon Castets pour établir des liens encore plus étroits avec les centres d’art contemporains et les écoles, dont le Mamco à Genève et l’ECAL à Lausanne.

«Le centre suisse de Soho est devenu un lieu important de réflexion sur l’art contemporain»