Au vu de l’histoire très orientale de la Cité des Doges, cela pourrait paraître une évidence. Et pourtant, c’est la première fois qu’on remarque vraiment les Arabes à la Biennale d’art de Venise. Ou plutôt qu’ils se font vraiment remarquer. Dans les Giardini, et parsemés dans les sestieri de la ville, on visitera les pavillons nationaux, cherchant forcément à juger de l’avancée de ce fameux Printemps au vu des choix d’artistes établis par les pays arabes pour les représenter. Difficile de ne pas avoir le regard bousculé par l’actualité politique de cette région du monde quand on entre dans un lieu d’exposition, même s’il a été pensé bien avant, comme celui de la Syrie, confié à un commissaire italien, avec des œuvres plutôt abstraites tant d’artistes italiens que syriens. On veut voir des envies de liberté dans cette image d’une femme voilée de bleu, une valise rouge à la main, qui s’enfonce dans la mer... Le photomontage est signé par Lateefa bint Maktoum, dans l’espace d’exposition des Emirats arabes unis, au fond de l’Arsenal.

Le pavillon de l’Egypte est par contre clairement marqué par les événements. Il tient du mausolée, hommage à un artiste mort sur la place Tahrir. «S’ils veulent la guerre, nous voulons la paix. J’essaie seulement de regagner un peu de la dignité de ma nation», postait Ahmed Basiony sur Facebook peu avant son décès, à 33 ans, le 28 janvier. On voit de lui les traces d’une performance réalisée un an plus tôt, engagement du corps, mais aussi recherche artistique très marquée par les nouvelles technologies. Déjà, il y avait là cette double force qui a fait le terreau de la révolution égyptienne, la présence réelle, dans la rue, et celle sur les réseaux technologiques.

Des Arabes, il y en a bien sûr aussi parmi les artistes choisis par la curatrice de l’exposition principale, la Zurichoise Bice Curiger. Les Marocains Yto Barrada, Latífa Echakhch, l’Algérien Mohamed Bourouissa vivent en France ou en Suisse. Mais leurs œuvres ne sont pas déracinées.

Mais pour vraiment faire le plein d’impressions arabes, il faut aller à Dorsoduro, au bord de la lagune, visiter l’exposition The Future of a Promise, qui réunit des artistes parce qu’ils sont Arabes, mais qui les libère aussi d’un attachement trop fort à un Etat précis. La commissaire de l’exposition, Lina ­Lazaar, est une élégante jeune Tunisienne (elle n’a pas 30 ans), formée à la finance et à l’histoire de l’art avant de sillonner le monde arabe et iranien pour Sotheby’s. Peu de réelles découvertes dans son exposition faite de noms déjà connus internationalement, mais une impression générale d’un art engagé, imprégné de la réalité sociopolitique. Et cela va bien plus loin que les événements de ce printemps.

The Future of a Promise est sans doute porté par la révolution du jasmin, mais se souvient aussi des espoirs déçus, des traumatismes des guerres, des réalités encore. Là aussi, beaucoup de ces artistes sont exilés, partagés entre deux cultures, entre deux mondes, et leur art témoigne d’un regard souvent douloureux, révolté. Il en est ainsi des toiles de l’Irakien Ahmed ­Alsoudani, né en 1975 à Bagdad, qui vit à New York. On y voit des ruines calcinées, des arbres morts, et surtout des corps souffrants, tordus, mêlés, hurlants, qu’on distingue peu à peu dans une vision d’ensemble qui ne paraît pas si violente au premier coup d’œil. Ses tableaux semblent dire après ­Picasso: «Guernica ne vous a pas suffi?» Ils hantent Venise, de cette exposition au pavillon irakien en passant par le Palazzo Grassi de la Collection François Pinault.

Il y a la réalité des pays arabes, et puis aussi celles des exilés. Nadia Kaabi-Linke, jeune Tunisienne de mère russe, diplômée de la Sorbonne, a travaillé avec la réalité des clandestins qui vendent des objets made in China au bord des canaux vénitiens, déplaçant sans cesse leur carré de toile pour échapper à la police. Elle a noté les traces de ces errances et dessiné ainsi de vastes grilles de métal, qu’elle a suspendues au haut plafond des anciens magasins de sel où a lieu l’exposition. Comme des prisons qui semblent prêtes à tomber sur les visiteurs.

The Future of a Promise. Jusqu’au 20 novembre 2011, www.thefutureofapromise.com La Biennale de Venise, jusqu’au 20 novembre 2011, www.labiennale.org

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Ahmed Alsoudani

dans le catalogue de «Le monde vous appartient», exposition du Palazzo Grassi

«Je me sens très impliqué dans ce qui se passeen Irak, mais j’ai aussi pris conscience que toutes les guerres se ressemblent»