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Asie majeure. Ravis par Shankar

Regard fuyard, Daniel Rossellat, à quelques minutes de voir Ravi Shankar

Regard fuyard, Daniel Rossellat, à quelques minutes de voir Ravi Shankar, jambes croisées, sur la Grande Scène de son festival trentenaire. Il sait l'ampleur du pari. Et l'anxiété particulière du matou grisonnant de Bénarès, après avoir vu ses sitars vermoulus par des aviateurs de mauvaise compagnie. Concert de musique classique indienne, en ouverture de jeu, pour un public dont la réputation est celle de l'errance gourmande et tapageuse. On fait asseoir en préambule l'assemblée, on lui demande de ranger ses potins. Ravi, en tunique filée d'or, sautille doucement. Sa fille Anoushka, le sosie de Kâli, la même aura de sulfure, se glisse à son flanc. Jamais un silence si fervent, au Paléo. Jamais, une telle brise de respect.

Il ne faudrait pas construire l'image d'une armée statufiée devant le maître, qui découvrirait soudain, sous le drapeau limite kitsch cousu du sigle ôm, la prévalence de la méditation indienne, l'aura des mantras et le bienfait des textes védiques. C'est plutôt la tranquillité vivante du festival de Puna, autre Paléo du raga dans les alentours de Bombay. Là, devant quelques dizaines de milliers de fanatiques, les stars de la musique hindoustani se lovent une fois par année. Le public y mange, fume, respire, se disperse. Capture une mélodie au détour d'une inattention. Anticipe le charme, sans y tout miser. C'est un cliché tenace, sûrement baba, que de croire à la religiosité de ce que joue Ravi Shankar. Pas une musique de temple, non, mais de fête, de palais et de libation. L'audience du Paléo a saisi cela. En deux vibrés de sitar.

Shankar a 85 ans. Ses cheveux épars grisent le personnage. Taquin, depuis le début du siècle dernier. Sa disciple préférée, son Anoushka à la virtuosité studieuse (pas la meilleure sitariste de sa génération contrairement à la rumeur, mais une honnête interprète), répond d'un bond aux clins d'œil. Une phrase à la vitesse de la lumière, qu'elle reprend en miroir. Une cavalcade rythmique sur laquelle elle s'ajuste. Il y a, entre ce père et cette fille, plus de complicité tue que les liens de sang ne peuvent l'expliquer. Il lui a enseigné, une enfance durant, ces saute-mouton, ces pirouettes que les ragas, les architectures modales, exigent. Une heure d'audace ancienne, de lames neuves. Ravi Shankar cherche toujours à aiguiser son vocabulaire. Une heure, seulement, au fond, qui introduit cette édition très asiatique de Paléo. A 20 h précise, le drone meurt. Et chacun, sur cette scène ou devant elle, sait avoir été à la hauteur de l'enjeu.

Cette chronique relate les concerts asiatiques du 30e Paléo Festival de Nyon.