Il voulait être docteur, il a fini par s'en soigner. Arrivé aux Etats-Unis pour se frotter aux académies, Babatunde Olatunji crée un ensemble d'expatriés pour étouffer son mal du pays. Il frappe correctement, sur de lourds tambours au frisé acéré. On le découvre. Il comprend vite la fascination de l'Occident; des Africains Américains pour leur histoire éparpillée, des Caucasiens pour ce continent noir à l'aura touffue. Olatunji en joue, encouragé en cela par ses producteurs. Il fait le grand prêtre vaudou, sorcier aux amulettes innombrables. Il professe l'universalité du rythme, pas forcément un cliché à l'époque, même si des Latins (Machito, Chano Pozo) ont déjà assez investi le secteur du pulsé hanté en Amérique. Babatunde Olatunji devient référence ultime pour John Coltrane avec qui il joue, pour Santana et une forêt de militants plus ou moins engagés dans la lutte contre la ségrégation, pour la mystique mélodique. Olatunji, qui crée un centre du savoir nègre, se compromet parfois dans les desseins que l'on élabore pour lui. Il veut bien. Il est le Noir premier, dans ces Etats-Unis de seconde main; la peau rythmée, le costume Gold Coast. Il renonce à ses aspirations de lettré cosmopolite. Pour devenir un archétype d'Africain.
Les disques de Babatunde Olatunji seraient sans doute écartés aujourd'hui. Sous le motif impérieux de l'authenticité blessée, de la tradition cosmétique, polie pour les oreilles profanes. Mais, enregistré en 1993, dix ans avant sa mort, ce disque neuf permet d'abord de remettre le temple yoruba au milieu du village global. Pas une syncope, de la salsa au jazz, de la samba au funk, qui ne dérobe à cette civilisation des cosmogonies battues. En plus, à force de s'américaniser, Olatunji avait fini par construire sa propre africanité mythique. Bâtarde. New Age. Mais tout entière construite autour de la pulsation (malgré la présence ici de chants, électroniques et participations outrées). Comme si entre l'Amérique et son passé africain, les testaments trahis ne pouvaient se conter qu'en peaux giflées.