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Babatunde Olatunji, petit père Afrique

Idole de Coltrane, saint patron des Noirs en diaspora, le percussionniste revient deux ans après sa mort hanter nos visions d'Afrique.

Babatunde Olatunji. Circle of Drums (Chesky/Musikvertrieb)

C'était en 1959. A une pirouette des Indépendances africaines. Il y avait déjà, parfois, sur la rocaille ocre de l'île de Gorée ou les graviers salés de Porto-Novo, des Américains qui se rendaient en pèlerinage. Ils étaient Noirs et venaient tremper de mémoire liquide les comptoirs portuaires où leurs ancêtres avaient pris un aller simple en caravelle. C'était en 1959, quand les Panthers devaient sortir en monochrome, que le jazz disait mort à l'esclavage, au post-esclavage et que la Nation of Islam, bientôt, exigerait séparation définitive. Une époque de Noir, de Blanc, dont les images prennent des contrastes saturés. Babatunde Olatunji, en 1959, avait enregistré un disque noir, Drums of Passion, une étrangeté grisée, de percussions yoruba, qui allait mettre l'Afrique pour la première fois au cœur du monde blanc. Olatunji, né au Nigeria en 1927, allait en vendre plusieurs millions d'exemplaires. Et marquer une génération, des deux côtés de l'arc-en-ciel, qui cherchait du sacré, du passé, un ancrage. Avec la sortie posthume d'un disque inédit, le percussionniste rappelle où en était, alors, le malentendu sur l'Afrique. Et, surtout, où il y est resté figé.

Il voulait être docteur, il a fini par s'en soigner. Arrivé aux Etats-Unis pour se frotter aux académies, Babatunde Olatunji crée un ensemble d'expatriés pour étouffer son mal du pays. Il frappe correctement, sur de lourds tambours au frisé acéré. On le découvre. Il comprend vite la fascination de l'Occident; des Africains Américains pour leur histoire éparpillée, des Caucasiens pour ce continent noir à l'aura touffue. Olatunji en joue, encouragé en cela par ses producteurs. Il fait le grand prêtre vaudou, sorcier aux amulettes innombrables. Il professe l'universalité du rythme, pas forcément un cliché à l'époque, même si des Latins (Machito, Chano Pozo) ont déjà assez investi le secteur du pulsé hanté en Amérique. Babatunde Olatunji devient référence ultime pour John Coltrane avec qui il joue, pour Santana et une forêt de militants plus ou moins engagés dans la lutte contre la ségrégation, pour la mystique mélodique. Olatunji, qui crée un centre du savoir nègre, se compromet parfois dans les desseins que l'on élabore pour lui. Il veut bien. Il est le Noir premier, dans ces Etats-Unis de seconde main; la peau rythmée, le costume Gold Coast. Il renonce à ses aspirations de lettré cosmopolite. Pour devenir un archétype d'Africain.

Les disques de Babatunde Olatunji seraient sans doute écartés aujourd'hui. Sous le motif impérieux de l'authenticité blessée, de la tradition cosmétique, polie pour les oreilles profanes. Mais, enregistré en 1993, dix ans avant sa mort, ce disque neuf permet d'abord de remettre le temple yoruba au milieu du village global. Pas une syncope, de la salsa au jazz, de la samba au funk, qui ne dérobe à cette civilisation des cosmogonies battues. En plus, à force de s'américaniser, Olatunji avait fini par construire sa propre africanité mythique. Bâtarde. New Age. Mais tout entière construite autour de la pulsation (malgré la présence ici de chants, électroniques et participations outrées). Comme si entre l'Amérique et son passé africain, les testaments trahis ne pouvaient se conter qu'en peaux giflées.