Il est né en 1991; Patrick Bruel demandait alors «Qui a le droit?», Stephan Eicher déjeunait en paix et Roch Voisine amorçait son déclin. Bastian Baker, 21 ans, a des fleuves d’histoire pop en tête au moment où il gravit, dans le doute et l’urgence, la scène du Montreux Jazz Festival. L’année dernière, on le voyait trafiquer sur les scènes extérieures de la manifestation, sourire à tous, accorder une guitare sèche, deviser avec ses premiers fans ébahis. Il était grand, tout taillé par le hockey, mille exploits dans le viseur.
Entre-temps, il a signé une distribution en France, chanté à «Taratata», écoulé des flots de disques et professionnalisé cette étrange vocation à enfiler des refrains dans les têtes. Il a peur, ce soir à Montreux. C’est imperceptible. Il a dû attendre des heures qu’Amy McDonald, celle pour laquelle il ouvre le concert, daigne arriver enfin. Il ne tremble pas, sous sa veste de cuir tanné. Mais il sait l’enjeu. Un album seulement et se trouver dans le vestibule du plus grand festival au monde. Les premiers rangs sont conquis par des crieuses qui l’attendent. Le reste de la salle se fait prier lorsqu’il demande, sans cesse, «vous êtes là, Montreux?»
Bastian Baker, comme toute sa génération, a appris les gestes de la musique devant sa télévision. Il dresse son doigt au ciel. Il ferme les yeux quand il s’agit d’une ballade. L’émotion est une attitude. Il faut attendre son premier single (on ne dit plus «chanson», on dit «single»), Lucky, pour que sa petite veine folk, celle qui laisse encore de l’espace pour sa nature post-adolescente, ressurgisse. Le reste est FM, très fabriqué. On attendait une vedette qui se construit. C’est un routier.
Hors son charisme indéniable, Bastian Baker n’a pas des qualités exceptionnelles. Mais surtout, il met tant d’énergie à voiler une belle fragilité de chansonnier au bord du feu qu’il finit par ressembler aux mille aspirants qui l’ont précédé. La pop n’est pas seulement une maîtrise. Elle est un lâcher-prise.