La Bâtie débute avec le souvenir
FESTIVAL
Nombreux retours sur le passé lors du premier week-end
Pièces inaugurales de deux stars de la danse contemporaine, spectacles de théâtre traitant de la mémoire morcelée, La Bâtie – Festival de Genève a ouvert les feux ce week-end en conjuguant l’art au passé (dé) composé. La plus belle réussite? Sandra qui?, création de Sandra Amodio qui aborde l’Alzheimer de sa mère et la question de l’immigration à travers une proposition polyphonique virtuose. Avec le dynamique Travelogue I – Twenty to Eight (1993), Sasha Waltz a enflammé le Bâtiment des forces motrices, tandis que le transcendantal Fase (1982) de la chorégraphe vestale Anne Teresa De Keersmaeker a offert au public une communion avec les compositions minimales de Steve Reich.
On peut le dire – le redire en fait (LT du 04.07.2012) – sans chichi: Sébastien Grosset est incroyablement doué. Peut-être parce qu’il est aussi compositeur de musique, ou parce qu’il a une passion pour l’Afrique, cet écrivain et dramaturge romand excelle dans l’art de traiter un sujet du dedans, par la manière autant que par le propos. Il le prouve à nouveau avec Sandra qui?, composition chorale mise en scène par Sandra Amorio et qui met en œuvre la perte de contrôle de manière vertigineuse.
Dans une mer de lutrins sur lesquels des partitions semblent toujours prêtes à s’envoler, cinq témoins recomposent le paysage fragmenté d’une communauté. Giula et Celestino, mère et père de Sandra Amodio, et Ahmad, l’ami libanais. Dès le monologue, le langage avance en boitant, comblant les trous de l’oubli par de drôles de pansements. Extrait: «A l’époque, je m’appelais Sandro Amodia et j’étais docteur en solocilogie à l’Université universitaire académique des Hautes Etudes de solociologie de l’Université de Neuchâtuel. Quand j’ai rencontré Sandra Amodio, je pratiquais l’intervention solociologique. J’étais docteur soliogue en soliogie universitaire de Neugève.»
Echolalie et palilalie
Torsions multiples du langage, car, explique Sébastien Grosset, les personnes atteintes d’Alzheimer pratiquent l’écholalie (répétition des mots sans se soucier de leur sens) et la palilalie, autre compulsion de répétition, mais au sein du même mot, via un redoublement de syllabes.
Pour restituer la perte de repères liée à l’immigration, Sébastien Rosset a compliqué l’affaire en écrivant une partition pour cinq voix qui se chevauchent et créent un formidable état de confusion. On reste baba devant la précision dont font preuve Anne-Marie Yerly, Roberto Molo, Vincent Fontannaz, Joëlle Fontannaz et Safi Martin Yé. Et, au-delà de la prouesse technique, on est touché par le portrait en pointillé de cette femme qui a perdu sa tête après avoir perdu ses racines.
Mémoire encore, durant ce premier week-end de La Bâtie, avec Timeloss d’Amir Reza Koohestani. Dans cette création, l’auteur et metteur en scène iranien revient sur les pas de Dance on Glasses, spectacle créé il y a dix ans autour d’une rupture amoureuse. Appelés à refaire les voix du DVD de ce spectacle, les comédiens revivent leur propre séparation. Les mises en abyme et divers tressages entre le film d’hier et le doublage d’aujourd’hui sont habiles, mais le tout ne dit rien de très palpitant sur le couple, d’ici ou d’ailleurs.
La Bâtie - Festival de Genève, jusqu’au 14 sept., 022 738 19 19, www.batie.ch