L’écrivain français Frédéric Beigbeder s’est dit «très heureux» de se «retrouver sur la même liste» que Louis-Ferdinand Céline et Georges Perec, lundi, après avoir reçu le prix Renaudot 2009 pour Un Roman français. Une distinction qui laisse la critique déçue, mais obligée de reconnaître que ce lauréat très médiatique et parfois perçu comme assez agaçant – voire comme une incorrigible tête à claques – ne manque pas de talent.

De quoi ça parle? Femina résume: «En hiver dernier, le plus frimeur, le plus noceur des auteurs parigots s’est fait coincer par la police, en train de préparer une ligne de cocaïne en pleine rue. Le fait divers est réel, les journaux s’en sont fait l’écho. Alors, tant qu’à faire, Frédéric Beigbeder écrit comment il a revisité son enfance, durant ces deux jours et deux nuits interminables où il s’est recroquevillé sur une banquette, dans une cellule humide. Car, oui, la cellule était humide et malodorante et sale et remplie des sanglots voisins. Comme dans les romans? Pire que dans les romans! Outre ses affres personnelles, Beigbeder met sa plume acérée à contribution pour dénoncer les conditions scandaleuses de la détention en garde à vue, en plein cœur de Paris.»

Un résumé plus précis? C’est le magazine en ligne Slate qui le donne dans «Un Renaudot pour une ligne de coke», comme dans un film de Buster Keaton: «Nous sommes le 29 janvier 2008. «Je vous préviens: si vous ne me libérez pas tout de suite, j’écris un livre!» crie de sa cellule de dégrisement un homme placé la veille en garde à vue pour usage de stupéfiants. En compagnie d’autres noceurs, il avait été pris en sniffant un rail de cocaïne sur le capot d’une Bentley, dans le VIIIe arrondissement de Paris. «Vous êtes dingues de faire ça sur la voie publique, planquez-vous aux chiottes comme tout le monde! C’est de la provocation, là!» s’exclament les flics. Nous ne sommes pas tout le monde, mon commandant. Nous sommes des écrivains. Okay?» leur rétorque-t-il. Direction le commissariat, toutes sirènes hurlantes.»

Et pourtant. «Pas de pirouettes ni d’esbroufe dans ce roman émouvant et pudique, qui contient une promesse, écrit Le Monde: le meilleur de Beigbeder est à venir.» Car c’est «un bon garçon», ironise Libération. Même si on a de la peine à le croire lorsqu’on visionne la vidéo postée sur le site du Figaro, où l’on voit le «trublion de l’édition française devenu l’un des piliers de la critique littéraire» commenter son livre autobiographique. Où, «fatigué des nuits de défonce dans les boîtes de nuit parisiennes, l’ex-jet-setteur livre le récit sensible de son enfance béarnaise», qualifiée par Le Journal du dimanche de «nécrologie d’une bourgeoisie provinciale sans avenir». Commentaires du lauréat: «Je suis très heureux. Hier, j’ai très mal dormi et ce matin je suis béat, muet.» Pas tant que cela, puisqu’il ajoute – comparaison peu innocente: «C’est un prix important qui a été décerné au Voyage au bout de la nuit de Céline et aux Choses de Perec, tous ces livres si beaux, si grands. Et là, me retrouver sur la même liste que ces gens-là… Je crois que je vais pleurer.» Sanglots sur son enfance, car c’est tout simple, selon Beigbeder: «Les enfants veulent recevoir des médailles, des récompenses, et moi c’est ce que je vis en ce moment. C’est un très grand honneur.»

Mais c’est surtout «un joli coup de pub, en plein débat sur l’identité nationale, pour l’auteur d’Un Roman français, […] déjà tête de gondole de la rentrée littéraire, traduit La Voix du Nord. Car Beigbeder, […] ne souffre pas franchement d’un déficit de soutien médiatique!» Mais «ça vaut la peine de passer outre le personnage frimeur pour lire ces pages à la drôlerie mélancolique, souvent justes, et même pudiques». A l’annonce du prix, tempère toutefois La Croix, le lauréat, «fidèle à lui-même, a fait le pitre pour masquer son émotion, ironisant sur le contenu de son livre, […]: «Le Renaudot est la meilleure des drogues. […] J’ai une pensée pour le procureur de Paris, à qui je dois beaucoup. Je n’aurais pas écrit ce livre si je n’avais pas été mis en garde à vue. Je remercie également les policiers du 8e arrondissement.» Ce procureur, Jean-Claude Marin (qui fut aussi celui du procès Clearstream) est à l’origine du parfum de censure autour du livre, qui défraya la chronique en août», explique le site de France 2.

Dans la première version du livre, précise Le Point, «l’auteur s’en prenait brutalement au procureur Jean-Claude Marin, qu’il accusait d’avoir prolongé sa garde à vue. Les éditions Grasset ont caviardé, avec le consentement de l’auteur, quatre pages de cette première mouture. Dans la version édulcorée, certaines attaques ont disparu. «Je ne peux pas écrire ici tout le bien que je pense de Jicé. Jean-Claude Marin est procureur de Paris: il faut faire super gaffe quand on écrit sur lui», écrit-il.» Sur la justice, pense Gala, ce pourrait donc «être une revanche. C’est au moins une victoire.» Et au moins «un récit qui s’attire les faveurs de ceux qui étaient déjà convaincus par le style du très télévisuel Beig, mais qui demeure indigeste pour une bonne partie de ses détracteurs», selon Pure People. De ces détracteurs, on aura d’ailleurs un échantillon sur le site Rue89...

«Il fait de la littérature avec de bons sentiments, pense Ouest France: Frédéric Beigbeder se montre plein d’amour […]. Provocateur et jet-setteur, mauvais garçon de la haute, faux dandy et vrai noceur, garnement de la plume et snob insupportable? Oui, tout cela sûrement. Mais pas seulement. C’est aussi un sacré écrivain qui nous donne un des beaux chants d’amour de la rentrée avec un roman […] qui montre que l’on peut faire de la bonne littérature avec des bons sentiments, n’en déplaise à André Gide à qui il arrivait, sans doute comme à Beigbeder, de dire un peu n’importe quoi.»

Ce qui encourage le rédacteur du Western culturel de Courrier international à proclamer: «Je suis très content de la victoire de l’ami Beig. Que son meilleur livre soit récompensé par le Renaudot, c’est justice.» Justice? Ce n’est visiblement pas comme cela que les choses sont vues par l’ironique Martine Laval sur son blog, Lectures buissonnières, hébergé par Télérama: «Pas de chance pour le grand écrivain. Beigbeder loupe le Goncourt! Galéjons, galéjons! A peine le prix Renaudot annoncé, les indignations pleuvent dans ma boîte aux lettres. Comme celle-ci: «Pourquoi pas une étoile au Michelin pour McDo!!!!» En effet, pourquoi pas? Qu’est-ce qui empêche les jurés d’innover franchement? De se montrer audacieux, téméraires, défenseurs d’une littérature authentique? Je dis des bêtises. Les jurés ne lisent pas – s’ils lisent –, ne se réunissent pas – ils déjeunent! –, ne travaillent pas (????) pour que survive la littérature. Ils se contentent de monter en épingle, en mayonnaise, en sauce tomate, des écritures insipides, des histoires flétries… Réjouissons-nous! Tout est pour le mieux: rien ne change.»