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Une puissance étourdissante
Ce qu’il faut retenir de ce nouveau-né lyrique qui s’inscrit au répertoire parisien? D’abord, la puissance étourdissante et la délicatesse moirée de l’Orchestre de l’Opéra de Paris mené par un Philippe Jordan précis et engagé. Ensuite, l’esthétique magnifique de la proposition scénique.
En ce qui concerne l’aspect compositionnel, si on regrette que les voix ne ressortent pas toujours suffisamment du flux instrumental et que la compréhension du texte français soit souvent due aux surtitres, les parties amoureuses offrent des passages lumineux portés par des aigus féminins incandescents.
De leur côté, les moments d’affrontement et de désespoir développent une intensité cauchemardesque dans une sauvagerie vocale sismographique. Michael Jarrell mène les voix sans ménagement sur la crête des extrêmes des registres.
Le traitement orchestral, très habilement tissé, dessine la dimension tragique à grands renforts de tubas, percussions et utilisations de sonorités graves, savamment montées de l’angoisse à la déflagration.
Une hésitation
Si le début de l’œuvre hésite entre le parlé et le chanté (la raison d’Etat contre celle du Cœur?), si le spechgesang s’invite presque malgré lui dans des déclamations en mode vocal sans grand ambitus mélodique, la vocalité s’épanouit au fil de l’œuvre.
Restent des interprètes d'exception pour surpasser l’exploit technique et émotionnel de la partition. Barbara Hannigan, pourtant rompue aux difficultés les plus redoutables, avouait en interview ne jamais rien avoir chanté de plus difficile que cette Bérénice. Elle en domine de façon éblouissante les incessantes tensions et les acrobaties vocales (et scéniques), parvenant à illuminer les aigus stratosphériques de l’amour comme à ravager son timbre dans la colère. Bo Skovhus? Phénoménal Titus, aussi impressionnant acteur que chanteur. Véritable incarnation théâtrale et vocale d’un homme dévasté par l’amour empêché, il file les notes et rugit les mots.
Le reste de la distribution masculine (hormis Rina Schenfeld qui incarne une Phénice parlée en hébreu) n’est pas en reste. Ivan Ludlow (Antiochus), Alastair Miles (Paulin) et Julien Behr (Arsace) répondent eux aussi sans faillir aux impératifs d’une oeuvre exigeante où le riche instrumentarium percussif et l’usage discret de l’électroacoustique - pour le murmure de la foule, complètent judicieusement l’ampleur de l’orchestre.
Palais Garnier, les 2, 5, 8, 10, 14 et 17 octobre. Rens: + 331 71 25 24 23.