Sur le toit de la Kunsthalle de Berne, une girouette prend le vent. Ce n’est pas une figure de girouette habituelle, mais une silhouette féminine susceptible de faire perdre le nord à plus d’un. Elle fait partie de l’exposition actuelle, entièrement consacrée à Virginia Overton, qui a choisi de dialoguer avec le lieu, du sous-sol au faîte du bâtiment en passant par la salle principale, où elle a reproduit au sol, en marqueterie de bois brut, la structure de la verrière, dans un bel effet de miroir. Elle expose même une ancienne photographie du bâtiment, trouvée dans la cave: «C’est l’image omniprésente pour moi de la Kunst­halle, bien avant que je vienne pour la première fois en Suisse», explique l’artiste américaine. Oui, à Memphis ou à New York, la Kunst­halle de Berne, quand on est artiste contemporain, est un lieu mythique. Mais à Berne même, le centre d’art d’Helvetiaplatz est en péril.

La première salve est venue des Jeunes libéraux. Dans un communiqué daté du 7 août, le parti proposait directement de fermer la Kunsthalle ou d’attribuer le bâtiment à une autre utilisation, comme la nouvelle culture nocturne des jeunes. Le prétexte? Aucun jugement sur la programmation, mais simplement un point de vue économique qui tient en une équation: «Environ 100 francs de subventions par entrée n’est pas justifiable.»

Dans les jours qui ont suivi, la presse bernoise a interrogé des représentants des autres partis. Et là, le déni de reconnaissance s’est aggravé, l’UDC estimant que la Kunst­halle, comme la Dampfzentrale ou le Stadttheater, est un luxe, et le Parti socialiste s’affirmant simplement «sans tabou». A peine le représentant d’un des partis verts (Grüne Freie Liste) posait-il un non de principe à des mesures d’économie en matière culturelle (Der Bund, le 8 août).

Depuis lors, Fabrice Stroun, son directeur, a largement pris la défense de la Kunsthalle dans les médias. Sur le site même du centre d’art, son manifeste («Nous avons besoin de la Kunsthalle») est cosigné par les membres du comité. «La vraie question n’est pas de savoir si la ville de Berne peut se permettre de garder la Kunsthalle, mais si elle peut se permettre de ne pas la garder», écrit-il.

Et de rappeler le rôle de ce lieu d’exposition, qui n’est ni celui, patrimonial, des musées, ni celui, marchand, des galeries. Ce qui lui donne une grande liberté, partagée avec les institutions sœurs que sont les Kunsthallen de Zurich, de Bâle et de Saint-Gall, et le Centre d’art contemporain de Genève, pour expérimenter sans contrainte.

Son texte est renforcé par une pétition forte de près de 3500 signatures et par des dizaines de témoignages de directeurs d’institutions et d’artistes de Berne et de toute la Suisse. Tous rappellent principalement le terreau que représentent les Kunsthallen pour la reconnaissance de l’art suisse à l’international. Ces centres sont enviés à l’étranger, et pourtant la Kunsthalle de Berne se heurte à la méconnaissance des politiciens locaux. Car si les élus de la ville font aujourd’hui la fine bouche, c’est sans doute parce que le canton a refusé d’entrer en matière pour subventionner la Kunsthalle lors d’une récente discussion pour un nouveau partage des charges.

Pas très stimulant. Et ce alors même qu’à Venise la Fondation Prada, dans son palais classé, souligne le rôle historique du lieu bernois. Elle a en effet choisi de reproduire l’exposition de 1969 Quand les attitudes deviennent forme, avec laquelle Harald Szeemann, alors directeur de la Kunst­halle, avait donné un souffle nouveau à l’histoire de l’art. L’événement a été pris en main par des curateurs expérimentés (Germano Celant, Thomas Demand et Rem Koolhaas) et, en juin, nous avons dû faire deux heures de queue pour l’apercevoir.

Dimanche, Fabrice Stroun recevait les visiteurs de la Kunsthalle en hôte enthousiaste pour une performance de Virginia Overton. Ils étaient une bonne centaine, et les Bernois semblaient minoritaires, des groupes étant venus de Bâle, Zurich et même Bregenz. Les politiciens semblent donc bien refléter leurs concitoyens, qui ne se précipitent pas de ce côté d’Helvetiaplatz.

Pourtant, depuis son entrée en fonction en 2011, Fabrice Stroun revendique une augmentation de plus de 25% de la fréquentation. «J’aimerais pouvoir faire passer le temps de travail de la personne qui s’occupe de la communication de 20 à 40%, mais je n’en ai pas les moyens, plaide-t-il. Notre subvention, de 890 000 francs [soit 75% du budget, ndlr], n’a pas bougé depuis quinze ans alors que les coûts relatifs à l’organisation d’expositions ont presque triplé. Nous aurions plutôt besoin de 1,1 million pour la période 2016-2019.»

D’ici là, il continuera à chercher des fonds pour assurer sa programmation (dont toute une série d’artistes de la scène helvétique l’année prochaine, de Valentin Carron à Shirana Shahbazi), ou simplement rénover le circuit électrique.

Dans le même temps, à Venise, une exposition souligne le rôle historique de la Kunsthalle