Mais voilà: le compagnon artistique de Bertolt Brecht à Berlin entre 1949 et 1956 a fini par balayer ses préjugés. A cause d'un fou rire sans doute, dans une salle de classe à Yverdon, il y a soixante-cinq ans. Benno Besson lit Les Quatre Doigts et le Pouce devant ses camarades et le voilà qui pouffe. Il tente de reprendre sa lecture. Mais non: l'hilarité est trop forte, trop belle.
C'est cette scène première qui l'a poussé à reconsidérer le texte de Morax. Comme pour signaler que tout vient de là, de cette excitation d'adolescent découvrant le pouvoir du verbe: l'attachement à la tribu d'abord, à la famille artistique composée aujourd'hui de Gilles Privat, Jean-Marc Stehlé, Coline Serreau; le goût de la farce en bande aussi, du merveilleux Oiseau vert de Gozzi en 1982 à la Comédie de Genève au bouleversant Cercle de craie caucasien en 2001 au Théâtre de Vidy, à Lausanne; la quête essentielle du plaisir surtout, cet art de décrypter le monde tout en s'amusant et d'inviter toujours le spectateur à jouer avec lui.
Benno Besson retourne donc aux sources. Et à l'accent vaudois. C'est un choc, comme il l'avoue, de réentendre les intonations de sa jeunesse. Même s'il n'a jamais vraiment perdu de vue la campagne nord-vaudoise, qu'il habite Berlin, Genève ou Paris. L'imprimeur Henri Cornaz, son contemporain et ami, se souvient d'ailleurs des virées d'un Besson impatient de faire visiter les rives du lac de Neuchâtel à ses amis comédiens allemands. Mais avec René Morax, c'est une expérience proustienne qu'il s'offre: le temps enfui soudain rattrapé. Sur le plateau, pendant la répétition, Benno Besson n'a jamais paru aussi alerte. C'est que l'enfance est son art.