Castagne féministe au Musée d’art et d’histoire de Genève
Festival
La salle des Armures du MAH a accueilli jeudi dernier un curieux événement. Un ring, deux catcheuses, et une démonstration tout en puissance et en mouvement. L’occasion également de lancer la Créatives Supercup, premier championnat suisse féminin de ce sport, signature de contrat à la clé

Le sol a tremblé au Musée d’art et d’histoire de Genève (MAH). Littéralement. Le festival Les Créatives et la Swiss Power Wrestling, la fédération suisse de catch, ont monté un véritable ring au milieu de la salle des Armures, sous l’œil attentif des chevaliers qui peuplent les lieux. Le choix de cet endroit pour l’événement peut paraître original, mais fait sens. Un lieu austère à l’imagerie guerrière, remplie de lances, hallebardes et plastrons au garde-à-vous, pour accueillir une joute «gladiatoresque». Sauf que ces tuniques de métal appartenaient certainement à des hommes. Ici, ce sont deux combattantes que le public vient applaudir: Leila Dupré et Johanne Bonnet.
Pas de mise à mort, l’événement, intitulé Catch me if you can est purement didactique et vient présenter ce sport encore méconnu en amont de la véritable confrontation qui aura lieu le 26 novembre prochain entre les deux combattantes. Le festival Les Créatives et la Swiss Power Wrestling unissent ici leurs forces pour lancer le premier championnat de catch féminin en Suisse. La mise en scène est rodée. Entrée sur fond de trompettes, signature du contrat, présentation de la coupe et des tenues qui n’ont rien à envier à celles masculines derrière leurs vitrines. L’une rouge et noir, l’autre turquoise et or, surmontée d’une crête rappelant la roue du paon.
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Conquérir de nouveaux territoires
C’est Adrian Johnatans, fondateur de la fédération suisse de catch, qui s’occupe d’animer la soirée. Lunette aviator sur le nez, long manteau beige en feutre et logorrhée beaufisante. Drôle d’ambassadeur pour un sport qui veut se défaire de son carcan masculin en boxant dans le cadre d’un festival féministe. Prisca Harsch, directrice adjointe des Créatives, précise la démarche qui sous-tend ce projet: «Quand on pense catch, on pense forcément à un univers de gros bras dominé par les hommes. Avec Les Créatives, on a voulu montrer que ce territoire masculin pouvait être conquis par des femmes.» Catch me if you can fait notamment écho au film Luchadoras présenté par le festival Filmar en América Latina et peignant le portrait de trois combattantes mexicaines pour qui le catch est, plus qu’un sport, un moyen de se défendre, voire de survivre.
Sur le ring, Leila Dupré nous montre à quoi peut ressembler une confrontation. On est loin des chorégraphies américaines aux airs de ballets pour géants en slip moulant fluo. Ici, ça tape dur et pour de vrai. Les combattantes n’ont pas le droit de se rencontrer avant le match du 26 novembre. C’est donc Matteo, un autre catcheur de la Swiss Power Wrestling qui fait office de sac de frappe humain. Bodyslam, prise à la nuque, corde à linge, il encaisse tout le vocabulaire de ce sport en grimaçant de douleur. On veut bien croire Adrian Johnatans qui répète comme un vieux disque rayé que le catch suisse n’est pas truqué contrairement à celui qui se pratique de l’autre côté de l’Atlantique.
Des Amazones au ring de catch
Cette soirée ne se résume pas qu’au sport, le musée n’est pas qu’un décor. Si le catch féminin est là pour conquérir de nouveaux territoires, Prisca Harsch rappelle que de tout temps les femmes se sont battues. A l’instar du Chessboxing mêlant échecs et coups dans la tronche, Catch me if you can est suivi d’un événement plus intellectuel: une visite commentée sur les guerrières dans l’histoire. Le show fait place aux couloirs silencieux du Musée d’art et d’histoire, ses cratères à volutes antiques et ses appliques en terre cuite. Saut dans le temps, on atterrit en 300 avant J.-C. dans le sillage des Amazones, mais le combat est similaire à celui qui se jouait un peu plus tôt: démythifier les rapports entre femmes et violence. Adrian Johnatans exhortait le public à oublier le cliché du catch féminin en string et dans la boue. Le MAH dégomme de son côté les idées reçues sur ces guerrières à cheval: pas de sein coupé, de chevauchée latérale ou de contact avec la gent masculine uniquement pour se reproduire.
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Si les stéréotypes sur les Amazones sont tenaces, c’est la faute aux Grecs. Les femmes hellènes, elles, ne combattent pas. Ces cavalières belliqueuses venues d’Orient incarnent une altérité insupportable. Entre peur et fascination, les guerrières semblent n’avoir jamais laissé indifférents leurs homologues masculins et ce depuis la nuit des temps. Pour revenir au XXIe siècle, qu’on aime ou non le catch, là n’est finalement pas la question. Leila Dupré et Johanne Bonnet sont surtout sur le ring pour nous rappeler que les hommes n’ont pas le monopole de la violence. Et qu’un bodyslam fait toujours mal, quelle que soit la personne qui l’exécute.