Ne lui demandez pas de trancher, il n'y arrivera pas. Entre une grande carrière de violoniste qui s'ouvre à lui avec modération et la passion pour les maths, qu'il cultive en véritable savant, il a décidé de ne pas élaguer et d'adopter la solution maximaliste. Deux chemins ou rien, jusque dans sa façon d'être. Vous cherchez l'homme de science? Il est dans le débit des mots, régulier, presque monotone, à peine coloré par les rares changements d'intonations. Vous guettez l'artiste: le sourire épanoui et la dégaine insouciante le dévoilent. Au Verbier Festival, Corey Cerovsek est un habitué, il joue souvent les seconds rôles en s'associant à d'autres artistes pour des concerts de musique de chambre. Pour l'instant, «il n'a pas encore eu l'opportunité de se produire dans la grande salle Médran, et c'est dommage», regrette un proche.

Dans la station valaisanne, il oublie les logarithmes et les intégrales pour trimbaler un violon qui doit à coup sûr peupler les rêves des collectionneurs et des musiciens de l'archet. Un Stradivarius «Milanollo» de 1728, resté longtemps entre les mains de Christian Ferras et dont le prêt fait au violoniste canadien a du croustillant. «Il y a quelques années, le propriétaire m'a entendu jouer au festival de Divonne et ici à Verbier. Il m'a ensuite invité dans son chalet et m'a dit de prendre l'instrument. J'ai cru qu'il plaisantait ou que la proposition n'était valable que pour un seul concert. Mais non, ce rêve dure depuis deux ans.» Cette passation informelle, sans contrat, a projeté le jeu de Corey Cerovsek du noir et blanc à la couleur et a exalté un peu plus les qualités du soliste: «C'est un instrument qui porte, ce qui est primordial si on veut faire des récitals.»

Le violon a donc définitivement gagné le cœur du natif de Vancouver. Car, dans le choix de l'instrument, le piano s'est longtemps immiscé et a lutté à armes égales. La maison d'enfance, «où la musique classique n'était jamais absente», en comptait un sur lequel les doigts du petit Corey et de sa sœur plongeaient souvent. Les deux sont doués, leurs amis de l'époque en gardent aujourd'hui encore un souvenir crispé: «On faisait beaucoup de petits concours locaux et on raflait tout ce qu'il y avait à prendre. Je crois qu'on a fini par agacer tout l'entourage.» Puis, un jour, la mère achète un violon, «parce qu'elle le trouvait mignon», et ce sera le début d'allers et retours incessants entre les touches du clavier et les cordes du nouveau venu. L'indécision ne prendra fin qu'à l'adolescence, lorsque Corey Cerovsek décide qu'il n'a plus envie de jouer au phénomène de cirque, en jonglant entre les deux lors de ses tournées.

Pourtant, les motifs pour amuser la galerie et pour épater l'assistance ne manquent pas. A l'école, lorsque la cloche de la récréation sonne, l'enfant précoce s'écarte de ses camarades, il grimpe sur les arbres pour lire, tel le baron d'Italo Calvino. A seulement 12 ans, il déménage avec sa famille pour s'inscrire à l'Université de l'Indiana à Bloomington. Il y étudie la musique et il est suivi par deux grands pédagogues: Josef Gingold et Enrica Cavallo.

Puis, il y a les maths, troisième voie qui compte autant que la musique, une obsession héritée par un père ingénieur. Il la parcourt avec emportement, jusqu'à obtenir un doctorat à 18 ans! Ces parents éviteront néanmoins de l'habiller avec le costume du génie: «Ils vivaient plutôt isolés, ils avaient une vie sociale limitée. Du coup, je n'ai jamais senti le poids du regard des autres. Mes parents n'ont jamais exercé de pressions, ils ont laissé libre cours à mes envies, sans idées préconçues et avec une naïveté charmante.»

Cette attitude coulante, Corey Cerovsek l'a gardée comme un enseignement. Sa carrière ne connaît pas de plans ni de stratégies marketings. Ses enregistrements sont rares («je préfère de loin la spontanéité des concerts aux longues réflexions autour des traces à laisser sur un disque») et seront bientôt enrichis par une intégrale des Sonates pour violon et piano de Beethoven en compagnie de Paavali Jumppanen à paraître cet automne chez Claves.

Et, entre une tournée et une session en studio, le violoniste continue à faire des clins d'œil aux maths, en collaborant avec des amis en Californie pour un projet qui tente de décrire mathématiquement le fonctionnement biologique du corps humain. Ou avec des conférences qui tissent des liens entre l'art et les sciences: «Une question qui me fascine de plus en plus.» Et qui fait que, entre musique et maths, Corey Cerovsek ne tranchera jamais.

Corey Cerovsek au Verbier Festival. Sa 5 août, salle Médran à 19h. Rens. 021/925 90 60 et http://www.verbierfestival.ch