Un animal avec de grosses larmes au coin des yeux. C’est l’image qui accueille ces jours le visiteur au Quartier Général, le centre d’art de La Chaux-de-Fonds. Un genre de renard géant, esquissé en noir et blanc et qui, visiblement, a le cafard. L’entrée en matière, du genre lacrymal, aurait de quoi surprendre si l’on ne se trouvait pas précisément au Chagrin Festival: une exposition qui évoque – invoque? – la mort et les émotions qu’elle engendre.

Derrière cette funeste entreprise, on trouve le Jurassien Augustin Rebetez. Un artiste connu pour son univers étrange, onirique, peuplé de créatures humanoïdes qu’il explore à travers la photo, le dessin, la sculpture et jusque sur les scènes de théâtre – comme à Vidy en 2017 avec L’Age des ronces, fresque graphique et musicale où s’ébrouaient pantins-poètes et ombres noires. L’invisible, le sous-terrain l’ont toujours titillé; rien de plus logique à ce qu’il célèbre aujourd’hui le passage dans l’au-delà.

Oiseaux de mauvais augure

Pour Augustin Rebetez, la mort est à l’image du reste de son travail: protéiforme, rêveuse et immersive. On visite donc l’exposition en déambulant entre de grandes parois, placées de guingois dans cet ancien abattoir – lieu adéquat – où les œuvres sont autant affichées que posées au sol ou pendant du plafond. On y croise des silhouettes, des visages. Ici, photographiés après avoir été grimés de noir, là, peints sur du bois, figés en plâtre ou forgés par des fils de fer – des figures si fines qu’elles semblent déjà évanouies.

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Ces présences sont humaines, animales et parfois entre les deux, à l’image de ces oiseaux à long bec qui nous ressemblent un peu. Corbeaux de mauvais augure ou messagers vers des cieux sereins? «Mes expositions sont libres d’interprétation. Ce sont des supports à émotions, à réflexion, répond l’artiste. Les gens ont bien sûr le droit d’y projeter des choses plus glauques. Mais ces oiseaux, ça pourrait aussi être des petites broches qu’on glisse dans la poche d’un proche décédé.»

Chapelle dans les bois

Les objets, les rituels d’adieu ont toute leur place au Chagrin Festival. Il y a des stèles en fer, des fleurs séchées et des statuettes brisées, logées dans des tombeaux miniatures conçus par l’artiste Leo Regazzoni. C’est lui aussi qui a imaginé la pièce de résistance de l’exposition: une chapelle, faite de planches récupérées çà et là, comme une cabane d’enfants perdue en forêt. «Il n’y a pas de dieu ou de chérubins ici, note Augustin Rebetez. On voulait plutôt créer un lieu de recueillement à notre image, où l’on aurait envie de s’asseoir un moment parce qu’on s’y sent bien.»

Effectivement, on se sent étrangement bien dans ce temple de bric et de broc. Assis sur un banc, on écoute le chant d’une femme qui s’élève comme une prière – extraits d’un album sorti en parallèle de l’exposition. L’atmosphère est à la fois solennelle, mélancolique et paisible. Un patchwork d’émotions souhaité par l’artiste: «Cette exposition appelle des choses intérieures, intimes, fragiles, jolies. Ça parle de la mort mais aussi de la vie.»

Cette même existence qui défile sans nous attendre, comme le rappelle un «calendrier du temps perdu» accroché au mur. Hésitant entre célébrer le chemin qu’il reste ou pleurer l’inéluctable, l’exposition nous emmène faire un petit tour d’introspection. Dont on ressort gorgé d’un doux chagrin.


Chagrin Festival, Quartier Général, La Chaux-de-Fonds, jusqu’au 8 décembre. www.q-g.ch