A La Chaux-de-Fonds, le QG avance masqué

Exposition Le nouveau centre d’art réunit des œuvres figuratives, surtout en peinture

C’est le troisième accrochage depuis l’ouverture, en février dernier. Après François Burland et l’art post-Internet de Monsieur l’ordinateur, le QG s’intéresse au masque. Avec un titre à la belle ambiguïté, Haut les masques!. Ce n’est pas une exposition ethnographique, même si quelques considérations de sciences humaines sous-tendent le propos de la commissaire, et directrice des lieux, Corinna Weiss.

On traverse l’exposition sous le regard de multiples personnages dissimulés, déguisés, voire de figures qui sont peut-être des masques, peut-être des trophées. La différence n’est pas toujours évidente entre collecte de biens culturels et chasse aux tigres. Les deux se sont souvent confondus avec pillage.

Chimère, langue pendante

Le New-Yorkais AJ Fosik fabrique ses sculptures animalières à partir de matériaux de récupérations, mais son travail est assez élégant et coloré pour le faire oublier. Son Double Tiger (2007) est une chimère, comme cet étrange canidé aux yeux multiples et à la langue pendante, Start Today (2014). Mais tout masque n’induit-il pas l’idée d’une chimère quand l’image qu’il affiche se superpose à celle de celui qui le porte?

La peinture a la place d’honneur dans cette exposition. Figurative, la thématique l’impose presque, elle réunit notamment quatre artistes lauréats du Prix Antoine Marin, une récompense française qui fait émerger chaque année 12 jeunes peintres, parrainés par des artistes plus renommés.

Corinna Weiss a puisé dans ce vivier Romain Bernini, qui installe ses personnages aux masques ethnographiques dans des paysages aux teintes subtilement fluorescentes. Elle a aussi choisi deux personnages aux masques de clowns d’Axel Pahlavi, Iranien installé à Berlin, dont les coups de pinceau raffinés servent une peinture très narrative. Une jeune femme au maquillage peut-être effacé par les larmes, virginale en perruque poudrée et longs bas blancs, nue pour le reste, assise sur un lit, contraste avec un motard coincé dans une grange sombre, loin des échappées sauvages.

Statuette à double tête

Thomas Lévy-Lasne, autre Prix Marin, joue de l’aquarelle, vive, précise et intense, à partir de moments capturés en photographies dans des soirées parisiennes et remontées sur Photoshop. La fête est lieu de travestissement, et l’absence quasi systématique de visages dans les cadrages le dit mieux que n’importe quel maquillage, n’importe quel costume. La plupart des œuvres exposées laissent un sentiment d’inquiétude, parfois léger, comme ces dérives festives.

Mais la plus impressionnante est sans aucun doute cette vaste toile sombre de Damien Cadio, 1er Prix Antoine Marin 2014. Au centre, flottant dans le noir, une statuette à double tête. Elle viendrait de Madagascar, faite de bois, d’un peu de métal, enduite de sang séché. Elle est là, dans le noir, isolée comme dans une vitrine du Musée du quai Branly, mais rendue terriblement présente par la peinture. Le noir qui l’entoure n’est pas celui d’une muséographie esthétisante mais celui des ténèbres, que chacun meuble de ses fantasmes. La toile appartient à une série initiée l’an dernier par Damien Cadio, Botaniques.

Même les étranges dessins de David Ortsman, faits pourtant de corps coupés à la tronçonneuse et de squelettes embrassant de trop près les vivants et transperçant leurs chairs, ne laissent pas autant de place au malaise. Quelque part entre les univers du bédéaste David B et les imaginaires de l’art brut, David Ortsman évoque nos petits cannibalismes ordinaires, les cruautés de nos cauchemars enfantins qui réapparaissent parfois dans nos vies d’adultes.

Haut les masques! QG, anciens abattoirs, rue du Commerce 122, La Chaux-de-Fonds. Me-di 14h-18h jusqu’au 6 décembre. www.q-g.ch