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Le chemin intense et discret de Kevin Bacon

Débarqué en édition minimale dans les rayons, l'inédit «The Woodsman» sidère par son acteur et son sujet: la réinsertion d'un pédophile.

The woodsman. Nicole Kassell (2004). Vidéodis. Bande originale: anglaise ou française (Dolby Digital 2.0). Sous-titrage: français.

Le woodsman, c'est le bûcheron. Et c'est surtout, dans Le Petit Chaperon rouge, celui qui ouvre le ventre du loup avec une hache pour faire sortir, sans une égratignure, la fillette tout juste dévorée. Dans The Woodsman, l'inspecteur Lucas rappelle ce conte à Walter, ancien pédophile en liberté conditionnelle après douze années passées derrière les barreaux pour des faits que le film ne décrira jamais, sinon qu'il s'agissait de petites de 10 à 12 ans, et n'excusera jamais, même si aucune pénétration ni aucun sévice ne furent jamais perpétrés. The Woodsman cueille en effet Walter sur le chemin impossible de la réinsertion: la culpabilité pour toujours, la suspicion de chacun, le rejet des proches, la solitude à rendre fou, les séances de psy qui creusent trop loin et l'amour, peut-être possible, en compagnie d'une collègue elle aussi blessée à vie par ses propres frères. Inédit dans les salles suisses, The Woodsman est un premier film hors du commun. Celui d'une jeune femme, Nicole Kassell, qui a osé adapter une pièce de Steven Fechter. Cannes 2004 avait été secoué par sa sélection en section parallèle. Non pas qu'il soit voyeuriste, mais parce qu'il imprègne encore longtemps après la projection.

Comme Eastwood quelques mois plus tôt avec le chef-d'œuvre Mystic River qui abordait ce même sujet sous l'angle de la victime (jouée par Tim Robbins), la cinéaste aborde de front la question de la pédophilie. En plus d'un courage fou, elle réussit à ne jamais se défausser, à éviter surtout la rédemption de Walter en pratiquant un cinéma de courte focale, empathique, pas très éloigné, stylistiquement, de Das Fraülein, le joli film de la Suissesse Andrea Staka.

Surtout, comme Eastwood, Nicole Kassell s'appuie sur un comédien d'exception pour donner corps au sujet le plus délicat qui soit: Kevin Bacon. Coïncidence: il jouait aussi dans Mystic River, le rôle d'un flic ami de Tim Robbins. Un Bacon également coproducteur de The Woodsman qui trace, intense et discret, son chemin dans la jungle des acteurs hollywoodiens depuis sa révélation en 1983 dans un film musical, dérivé masculin de Flashdance, quiaurait pu le briser d'emblée: Footloose.

Faute de supplément sur ce DVD, on peut se repasser le film pour regarder Kevin Bacon, uniquement lui. Il est de chaque plan, brisé, des tonnes de culpabilité sur les épaules, les yeux aux aguets comme une bête traquée, l'insensible mouvement de tête désapprobateur quand il se surprend à observer une fillette. Avec son corps sec, son nom (bacon = lard) et son visage impossible (nez en trompette, cheveux droits de blondinet, mini-yeux, pommettes hautes, sourire forcé et menton proéminent), il a rarement tiré le jackpot commercial hormis avec un Apollo 13, mais personne n'a tourné autant que lui (60 films en un quart de siècle). Rencontré à Cannes lors de la présentation de Mystic River, il nous avait confié: «Le star-system ne m'intéresse pas: depuis que j'ai des enfants (en 1989 et 1992), je me soucie surtout de leur bonheur. Je travaille pour eux.» D'où, sans doute, le choix courageux de The Woodsman.