Les fines bouches, très nombreuses lors de la dernière Berlinale d’où il est reparti bredouille, gloseront qu’avec Chéri, Stephen Frears ne s’est pas trop fatigué. Il se «contente» en effet de retrouver le scénariste Christopher Hampton et la revenante Michelle Pfeiffer, camarades de jeu, il y a vingt ans, de ses formidables Liaisons dangereuses, pour donner une suite déguisée au roman épistolaire de Laclos: Chéri, compression de deux romans de Colette (Chéri, 1920, et La Fin de Chéri, 1926). C’est-à-dire l’amour destructeur de l’ancienne courtisane Léa de Lonval (Michelle Pfeiffer) pour le jeune Fred Peloux surnommé Chéri (Rupert Friend), l’impossibilité de cet amour, surtout, dans la France hypocrite et corsetée du début du XXe siècle. Un peu comme si, pour les pourfendeurs de Frears, Léa de Lonval et les beaux yeux injectés de tristesse de Michelle Pfeiffer n’étaient autre que sa Madame de Tourvel quelques années après avoir été brisée par les machinations de Laclos.
Admettons. Mais, si les deux films sont cousins, comme tous les autres signés Frears en ceci qu’ils exposent des individus frappés par l’échec, c’est d’abord dans leur profonde originalité. Il y a d’abord la mise en scène, qui cavalcade d’ellipse en ellipse, soutenue par la voix off d’un narrateur qui n’est autre que Stephen Frears. «Je m’y connais en échecs», nous a-t-il confié en tête-à-tête. Et le voilà qui s’expose, pour un tête-à-tête avec le public plus personnel que jamais.
C’est la Belle Epoque, bientôt balayée par la Der des Der. Continuer à vivre dans son temps: cette question, qui ronge Léa de Lonval, donne lieu à une réflexion bouleversante sur le vieillissement, sur l’adaptation, aussi, à des valeurs nouvelles. Stephen Frears partage à ce point les préoccupations de son héroïne, qu’il organise chaque plan, chaque mise en place autour des miroirs dans lesquels elle se voit disparaître, autour des regards qui la jugent, autour des fantastiques robes dans lesquelles elle tente de régner encore, alors qu’elle ne semble plus avoir la moindre prise, y compris sur la couleur des tissus, plus automnale et cruelle d’une séquence à l’autre. Jusqu’à la dernière, tout simplement inoubliable.
Chéri, de Stephen Frears (GB, Allemagne 2009), avec Michelle Pfeiffer, Rupert Friend, Kathy Bates, Felicity Jones, Iben Hjejle. 1h30.