Dans sa trilogie San Ti, (Le problème à trois corps), l’auteur chinois Liu Cixin imagine qu’un groupe de citoyens a perdu sa foi en l’humanité et aide des extraterrestres à envahir la terre, ainsi qu’à résoudre un théorème de physique qui rend impossible la vie sur leur planète d’origine. L’action commence au moment de la Révolution culturelle chinoise, dans les années 1960, et se termine dans un futur lointain.

Composée de trois ouvrages – San Ti (Le problème à trois corps), Diqiu wangshi (La forêt sombre) et Sishen yongsheng (Death’s end*) (les deux premiers tomes sont parus en français chez Actes Sud) –, cette saga dystopique doit être adaptée sous forme de série par Amazon. Le groupe américain vient d’annoncer qu’il allait y consacrer 1 milliard de dollars, ce qui en fait l’égal de Game of Thrones.

Barack Obama conquis

Liu Cixin est l’auteur chinois de science-fiction le plus connu. Cet ex-ingénieur de 54 ans a remporté un Hugo Award, la distinction la plus prestigieuse dans ce genre, en 2015 et Le Problème à trois corps (San Ti) a été traduit en 16 langues. L’ex-président américain Barack Obama a déclaré au sujet de cet ouvrage qu’il l’avait aidé à surmonter son dur quotidien politique.

La science-fiction a une longue histoire en Chine. Elle est apparue au début du XXe siècle, inspirée par les traductions des ouvrages de Jules Verne et de H. G. Wells en chinois, sous la plume d’un géant du XXe siècle, Lu Xun. Le premier texte proprement chinois, Histoire de la colonie lunaire (Yueqiu zhimindi xiaoshuo), un roman inachevé à l’auteur inconnu, date de 1904 et relate une tentative d’établir une base sur la lune.

Visée pédagogique

L’arrivée au pouvoir du Parti communiste, en 1949, a donné naissance à une nouvelle forme de science-fiction. «Inspirée par celle de l’URSS, elle avait pour but d’enseigner la science aux jeunes et mettait donc en avant les avancées technologiques du pays», explique Regina Kanyu Wang, qui a fondé un cercle de lecture dédié à ce genre appelé AppleCore. Dans Capriccio for Communism, publié en 1958, le pionnier de la science-fiction chinoise Zheng Wenguang, imagine une Chine du futur où les usines produisent des biens industriels à partir de l’eau de mer et où des soleils artificiels font fondre les glaciers pour irriguer le désert.

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Pendant la Révolution culturelle (1966-1976), puis durant la campagne contre la pollution spirituelle dans les années 1980, qui a pour but d’éradiquer les idées occidentales, la SF chinoise entre en hibernation. «Il a fallu attendre les années 1990 pour qu’elle renaisse, grâce notamment à l’émergence d’un magazine, Science Fiction World, qui lui est consacré», note Regina Kanyu Wang.

Depuis le début des années 2000, c’est en ligne que la SF chinoise fleurit, sur des plateformes comme Douban, Baidu Tieba ou Shuimuqinghua. La plupart des auteurs sont jeunes, écrivent durant leur temps libre et privilégient le format de la nouvelle. «Nous communiquons énormément avec les lecteurs, qui nous fournissent régulièrement du feed-back, et nous actualisons en permanence nos récits, explique Xia Jia, une jeune auteure de science-fiction qui a consacré son doctorat à ce genre littéraire. Tout est très interactif.»

Contourner la censure

Les contenus ont beaucoup évolué. L’admiration béate face à la science a fait place à une description froide et cynique des défis affrontés par la Chine du futur: inégalités sociales, pollution, vieillissement de la population. En filigrane, on y perçoit une subtile critique du présent, qui échappe à la censure étatique car déguisée en récit fantastique. L’importance autrefois accordée à la technologie – et à la description de ses rouages – a été remplacée par une analyse fine du rapport entre l’homme et les nouveaux outils qui peuplent son quotidien.

«Les robots et l’intelligence artificielle, ainsi que la relation que nous entretenons avec eux, sont très présents dans la SF chinoise», fait remarquer Xia Jia. Contrairement aux récits d’antan, ceux-ci ne prennent pas la forme de droïdes humanoïdes. «Il s’agit souvent de simples morceaux de code, ce qui n’empêche pas les humains de parfois choisir de les préserver ou d’en tomber amoureux aux dépens de leurs pairs», note la jeune écrivaine.


L’avenir poétique selon Xia Jia

Native du Shaanxi, âgée de 33 ans, Xia Jia a d’abord étudié les sciences du climat, avant de se tourner vers la littérature. Ses écrits mêlent éléments de science-fiction et fantastiques. «J’aime inclure des esprits ou des personnages issus de légendes chinoises dans mes récits», dit-elle. Ses histoires se déroulent en général dans un futur proche et évoquent des problèmes que la Chine affronte déjà, à l’image de sa nouvelle Tongtong’s Summer** qui raconte comment un vieil homme s’approprie la réalité virtuelle et la robotique pour développer un système d’aide à domicile entre séniors. La poésie n’est jamais loin: dans A Hundred Ghosts Parade Tonight**, un petit garçon robot découvre sa part d’humanité au milieu d’un parc d’attractions abandonné peuplé de fantômes.

Chen Qiufan ou la technologie au service du mal

Chen Qiufan, 36 ans, est un technophile avéré. Il a travaillé pour Google et Baidu et il œuvre désormais pour une start-up de réalité virtuelle. Mais ses récits, pétris d’humour noir et d’esthétique cyberpunk, imaginent plutôt comment la technologie peut se retourner contre l’humain. «Le big data, l’intelligence artificielle, ce sont des outils neutres, dit-il. Mais s’ils tombent entre les mains de la mauvaise personne, ils peuvent être déployés à mauvais escient.» Dans sa nouvelle The Year of the Rat**, des diplômés au chômage pourchassent une armée de rats modifiés génétiquement qui ont envahi la terre. The Waste Tide***, son premier roman, met en scène une guerre entre différentes castes de recycleurs sur une île composée de déchets électroniques.

Hao Jingfang et sa vision des classes

De jour, cette jeune femme de 33 ans titulaire d’un doctorat en économie travaille pour un think tank. De nuit, Hao Jingfang écrit des nouvelles de science-fiction. Sa plus connue, Folding Beijing**, a été inspirée par un chauffeur de taxi qui lui a raconté avoir passé la nuit à faire la queue pour obtenir une place dans un jardin d’enfants pour sa fille. Elle imagine Pékin séparé en trois mondes, qui se replient et se succèdent durant chaque tranche de vingt-quatre heures. Chacun abrite une autre classe sociale. On y suit Lao Dao, un habitant du troisième monde, celui destiné aux pauvres, qui navigue dans ces univers pour financer l’écolage de sa fille. Un recueil de ses nouvelles sensibles vient de paraître aux Editions Fleuve dans une traduction de Michel Vallet sous le titre, L’insondable profondeur de la solitude.


Liu Cixin
Le problème à trois corps
T
raduit du chinois par Gwennaël Gaffric
Actes Sud, 432 p.

Liu Cixin
La forêt sombre
Traduit du chinois par Gwennaël Gaffric
Actes Sud, 656 p.

Hao Jingfang
L’insondable profondeur de la solitude
Traduit du chinois par Michel Vallet
Fleuve, 368 p.

* The Dark Forest et Death’s End, Par Liu Cixin, Tor Books, 2016

**«The Year of the rat» de Chen Qiufan, «Tong tong’s summer» de Xia Jian, «Folding Beijing» de Hao Jingfang dans Invisible Planets: Contemporary Chinese Science Fiction in Translation, trad. Ken Liu, Ed. Tor, 2016

***The Waste Tide, Chen Qiufan, trad. Ken Liu, Head of Zeus, 2019