A l’heure du café, il se laisse aborder par des fans, demande leurs noms, et signe avec application leurs livres ou affiches «I Want to Believe», se prête aux photos. La série X-Files s’est arrêtée il y a 13 ans après neuf saisons, elle n’a connu qu’un bref retour lors d’un deuxième long-métrage en 2008. Mais la création de Chris Carter continue de fasciner ses adeptes. La confirmation du retour de la fiction paranoïaque, en janvier 2016 pour six épisodes, affole une communauté encore bien vivante.

Chris Carter est l’un des invités vedettes du Festival du film fantastique de Neuchâtel. Premier voyage en Suisse pour l’ancien journaliste de surf, qui, à peine arrivé, s’est enquis des possibilités de natation et de kayak dans les environs. Il pose des questions sur la frontière linguistique, ou sur les conséquences du vote grec de dimanche. Le scénariste, réalisateur et producteur dit que ce matin-là, il a travaillé un moment sur l’un des scripts. Puis il se prête à un débat spécialisé sur les séries TV. Et, surprise, il lâchera quelques informations sur le retour de la série qui l’a rendu célèbre – pour mémoire, il a aussi créé Millenium, Harsch Realms et The Lone Gunmen. Loin des plateaux de tournage pendant des années, Chris Carter a eu une aventure malheureuse avec Amazon l’an passé, un pilote tourné sans suite, avant que survienne l’annonce qui a tétanisé les fidèles de Mulder et Scully.

Si l’on se laissait aller aux clichés, on s’attendrait à l’archétype du vieux beau surfeur comme la Californie sait les fabriquer. On découvre un homme appliqué, d’un calme constant. Un peu pincé, pourrait-on croire, c’est plutôt une forme d’attention. A côté, son épouse Dori complète certaines réponses, et ne cache pas ses goûts en séries – elle adore True Detective tout en doutant à ce stade de la deuxième saison, elle a détesté Lost. Diplomate, le mari dit n’avoir pas prolongé le visionnement, «ce n’était pas mon genre». Il assure regarder «les séries que tout le monde voit», mais glisse ensuite avoir apprécié la série française Les Témoins, vue sur Netflix, mais produit de niche pour les Etats-Unis.

Netflix, Amazon, nouveaux acteur du marché des séries. «Depuis le lancement de X-Files, l’industrie a changé de manière considérable. L’offre devient toujours plus étoffée. Nous avons bénéficié de cette évolution: avec l’inscription de X-Files au catalogue de Netflix, un nouveau public, qui n’était pas né lors de la première diffusion, l’a découverte. Cela dit, je ne crois pas trop à ce modèle d’abonnement. Il me semble que la vidéo à la demande va s’imposer…».

Chris Carter prépare la nouvelle saison, la 10e, de sa série phare, dans cette industrie qui ne ressemble plus vraiment à celle des années 1990. Il aurait pu rêver de travailler pour les chaînes payantes telles que HBO, sans publicité, qui ont produit tant de grandes œuvres ces dernières années – dont Breaking Bad, «un chef-d’œuvre», sourit-il. Conçue, comme bien d’autres, par un ancien de X-Files. Mais ce feuilleton appartient à Fox, et Chris Carter s’en accommode: «C’est son milieu, nous y restons. Je peux travailler avec des gens qui viennent de l’ancienne série [il dit toujours «the old show»], un directeur de la photo qui a été avec nous trois ans au Canada, des coproducteurs, des scénaristes aussi…» Et bien sûr une partie de la distribution, à commencer par David Duchovny et Gillian Anderson. Leur accord a été déterminant, après que Fox a lancé l’idée d’un retour.

Car la suggestion ne vient pas du créateur. «Fox le voulait, mais nous ne pouvions rien faire sans les deux acteurs. Leurs calendriers ont imposé le format, six épisodes seulement. De toute manière, nous ne pourrions plus produire des saisons de 24 épisodes comme naguère. Cela prenait toute notre vie… Avec des familles, des rythmes différents, il serait impossible de reprendre cette structure. Et l’industrie, là aussi, a modifié ses standards.»

Pourquoi avoir dit oui, alors que le film de 2008 semblait tant poser un point final? «Parce que c’est le bon moment. L’Amérique des débuts de X-Files ne connaissait presque pas Internet, et surtout, n’avait guère d’ennemis et de méchants. Puis est venu le 11 septembre 2001, qui a bouleversé le pays et le monde. Voici que des adversaires pullulent. On peut reprendre cette fiction dans ce monde-là. Je ne veux pas le faire par nostalgie, mais pour retrouver ces personnages, sans tricher, en assumant le fait que nous sommes 13 ans plus tard – d’ailleurs, en jouant sur ces années manquantes. Et je voudrais innover, surprendre à nouveau le public…» ­X-Files ou le deuil fictionnel impossible.

D’autant que la volée à venir ne conclura pas la saga extraterrestre. Soudain, Chris Carter lâche que les six épisodes se termineront par un coup de théâtre, un «cliffhanger». Stupéfaction. «Mais vous le saviez, non?» se penche-t-il. Malice. L’auteur n’est guère disert sur les intrigues elles-mêmes. Toutefois, dans ce cadre verrouillé des fictions TV, il se montre presque bavard. Il annonce deux épisodes relatifs à la mythologie générale de X-Files, et quatre autonomes, axés sur le vieux principe du «monstre de la semaine».

C’est peu, et beaucoup. La paranoïa a toujours régné, non seulement dans la série, mais chez ses responsables. Il raconte que le scénario du premier film était imprimé sur du papier rouge, pour troubler les photocopieuses. A l’heure de Facebook et autres, la crainte des fuites croît sans limite. Mais Fox compte aussi orchestrer le retour avec cymbales sur les réseaux. «Récemment, j’ai eu une séance à ce propos. Je pensais qu’il y aurait une petite dizaine de personnes. Ils étaient 50, qui vont s’occuper notamment de la promotion de X Files!». Sourire gêné: «C’est quand même un autre monde…».

Chris Carter l’assure, il songe déjà à la suite de la suite. «Si tout va bien, oui, il pourrait y avoir une 11e saison…». Et puis, après avoir donné ses autographes, le scénariste s’empare d’un set de table du restaurant, un propre, que Dori a repéré. Il le plie soigneusement. «J’aime prendre des souvenirs. Ne me demandez pas pourquoi, cette fois, c’est secret.» Nous y voilà.

Festival du film fantastique de Neuchâtel. Rencontre publique avec Chris Carter le mercredi 8 juillet à 16h. Rens. www.nifff.ch