Pour leur nouvelle exposition d'envergure en Suisse, le couple d'«artistes emballeurs» ne propose ni empaquetage de monument ni installation. Par contre, il présente plusieurs premières qui permettent de prendre la véritable mesure de leur engagement au CentrePasquArt, à Bienne
La Suisse accueille à nouveau, au CentrePasquArt à Bienne, une importante exposition consacrée au couple d'«artistes emballeurs» Christo et Jeanne-Claude. Eux-mêmes préfèrent le verbe «empaqueter» pour définir le procédé de certains de leurs travaux. Ainsi, lors de l'hiver 1997-1998, avaient-ils empaqueté les 178 arbres du Berower Park et de la Fondation Beyeler à Riehen/Bâle.
Rien de semblable, cette fois-ci, à Bienne au CentrePasquArt. Pas d'installation in situ. Pas d'empaquetage. Mais plusieurs premières pour cette exposition en trois volets, réunissant dessins, photographies, maquettes et objets témoins.
C'est la première fois, en effet, que les projets liés à la Suisse – à Berne, à Bâle et à Genève – sont regroupés en présentation publique (Swiss Projects 1968-1998). Une publication spécifique (en allemand et en français), avec une contribution de Harald Szeemann, paraît pour l'occasion. C'est la première fois également que l'histoire, largement documentée, de l'installation des parasols, l'une des plus importantes réalisations du couple, est montrée dans un musée (The Umbrellas, Japan-USA, 1984-1991, a Documentation Exhibition). Quant au troisième volet, il présente les dessins préparatoires de la prochaine réalisation de Christo et Jeanne-Claude. Celles des portiques devant jalonner les 37 kilomètres d'allées de Central Park à New York (The Gates, Project for Central Park, New York City).
Avec les trois volets de cette exposition, ouverte depuis dimanche, les deux artistes – tous les deux nés le 13 juin 1935 (www.christojeanneclaude.net) – font une véritable fleur à Bienne. D'autant qu'«ils n'avaient jamais jusqu'ici entendu parler du CentrePasquArt», ont-ils avoué. Mais pas de miracle. Si leur sollicitation a été possible, c'est qu'un de leurs collectionneurs, Urs M. Rickenbacher, installé dans la région, a joué le rôle de levier et pouvait arguer de l'acquisition de plusieurs de leurs œuvres. «Si Monsieur Rickenbacher n'était pas venu à New York nous voir, il n'y aurait pas eu d'exposition à Bienne», a précisé Christo.
Et Jeanne-Claude d'ajouter: «Tous nos collectionneurs sont importants. Qu'ils soient musées, collectionneurs privés ou sociétés possédant une collection; ce sont leurs achats qui financent nos projets.» Et ceux-ci sont plutôt onéreux. «Quand nous avons empaqueté le Reichstag, à Berlin en 1995, ça nous a coûté 15 millions 259 000 dollars de fonds propres.» Ce qu'ils vendent, ce sont les études préparatoires, mais aussi des lithographies avec d'autres sujets et des travaux des années 1950-1960, maintenant convoités et dûment monnayés, «alors que personne ne voulait les acheter à l'époque, car nous étions jeunes».
Mais ils tiennent à leur indépendance. «Nous nous interdisons la recherche de sponsoring, nous n'acceptons pas de donation, car tous nos projets sont un cri de liberté, lance Jeanne-Claude. Nous voulons la liberté totale. Quand vous avez des sponsors, il faut faire un petit peu ce qu'ils veulent, ce qu'ils disent. Nous ne voulons pas de ça.»
Pareil envers ceux qui leur font des suggestions. «Tous nos projets sont des idées qui sortent de notre cœur et de notre tête. Nous ne réalisons jamais les idées des autres. Nous recevons beaucoup de propositions. Mais nous disons toujours: «Le meilleur moyen de tuer une bonne idée c'est de nous la proposer car nous ne la ferons pas.» Nos projets sont nos enfants. Nous en avons réalisé 18 en quarante ans.» Beaucoup d'autres ont été abandonnés. Certains n'ont pu se faire qu'après des années, qu'après de persévérantes démarches pour obtenir les autorisations nécessaires.
«Notre projet des Gates à New York a été refusé en 1981. Puis un jour, le miracle s'est produit. Un ami, collectionneur, qui adore tous nos projets, a été élu maire de New York, Michael R. Bloomberg, et «pouf!» nous avons obtenu la permission. Il suffit de trouver des gens plus courageux que d'autres», relève Jeanne-Claude.
Actuellement, ce projet est dans sa phase terminale. Les voiles de couleur safran, fixés aux 7500 portiques prévus devraient être libérés le samedi 12 février 2005, pour flotter au vent durant seize jours. «Pourquoi nos projets ne sont-ils que temporaires?» «– C'est très important pour nous. Et comme nous aimons certaines formules, nous aimons beaucoup: «Il était une fois.» C'est ce que nos œuvres d'art sont.»
L'exposition montre fort bien toutefois la somme de réflexions, d'engagement et de labeur collectif que chaque projet représente. A chaque fois, c'est une entreprise complète de génie civil qui est mise sur pied. Avec sa planification, ses ingénieurs, la sélection des matériaux, les relations avec les sous-traitants, la fabrication des pièces, les essais grandeur nature, et l'engagement du personnel. Avec The Gates, Christo et Jeanne-Claude comptent fournir du travail à plus d'un millier d'habitants de Manhattan. La documentation sur The Umbrellas, projet qui vit l'implantation de 1340 parasols bleus (de 6 m de haut et de 8,66 m de diamètre chacun) au Japon dans une zone de rizières de 19 km de long, et de 1760 parasols jaunes en Californie dans une vallée aride de 29 km, met également en évidence toute l'importance des explications fournies aux habitants, des contacts établis avec les usagers et les sociétés locales. Un comportement exemplaire et à méditer pour tout artiste intervenant dans l'espace public.
Christo and Jeanne-Claude. CentrePasquArt. Faubourg du Lac 71-75, Bienne, rens. 032/322 55 86, www.pasquart.ch. Me-ve 14-18 h, sa-di 11-18 h. Jusqu'au 7 novembre.