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Le cinéma du mercredi. Les démons et merveilles du «Labyrinthe de Pan»

Le Mexicain Guillermo del Toro signe un bijou noir, un «Alice au pays du franquisme» malheureusement écarté du dernier palmarès de Cannes.

Avec ses acolytes, Wong Kar-wai, le président du jury du dernier Festival de Cannes, n'a pas retenu ce formidable Labyrinthe de Pan dans son palmarès. Dommage. Dernier film de la compétition à être projeté, ce merveilleux mélange entre réel et fantastique a tout pour propulser le Mexicain Guillermo del Toro à la place qu'il mérite: celle, peu prisée hormis par quelques Tim Burton et Terry Gilliam, des conteurs intelligents, drôles, poétiques, universels. Sensibles, efficaces et élégants aussi, marqués autant par Hollywood que par la culture européenne et, dans son cas, hispanique. Bref, Guillermo del Toro est un grand auteur dans une espèce en voie de disparition, celle qui marie, à travers le film de genre, les dimensions populaire et artistique du cinéma.

Après Cronos (tourné au Mexique en 1993), Mimic (Etats-Unis, 1997), L'Echine du diable (Espagne, 2001), Blade 2 (Etats-Unis, 2002) et Hellboy (Etats-Unis, 2003), cet ancien étudiant en effets spéciaux et critique de cinéma (il a signé un livre sur Hitchcock) retourne en Espagne et retrouve la matière de son meilleur film jusque-là, L'Echine du diable: l'enfance confrontée au franquisme, le conte de fées à la grande Histoire, la mythologie au réalisme.

Cinq ans après la fin de la guerre civile, dans l'Espagne de 1944, Carmen s'installe avec sa fille Ofélia chez son nouvel époux, un capitaine de l'armée franquiste nommé Vidal. Face à ce beau-père particulièrement autoritaire et cruel (méconnaissable Sergi Lopez découvert, déjà ogre, dans Harry, un ami qui vous veut du bien de Dominik Moll), Ofélia (Ivana Baquero, petite révélation de 12 ans) cherche à s'évader dans les alentours de la maison familiale. Elle y découvre un effrayant labyrinthe gardé par Pan, un faune qui lui révèle qu'elle est la princesse attendue d'un royaume enchanté.

Inspiré par les toiles de Goya, Carlos Schwabe, Böcklin et Arthur Rackham, del Toro a macéré Le Labyrinthe de Pan durant vingt ans avant de trouver le budget et l'assise nécessaires pour le concrétiser. Et il réussit là où beaucoup ont échoué: entrelacer la cruauté du monde réel, incarnée par le fanatisme de Vidal, et la monstruosité d'un univers magique. D'une portée esthétique et morale exemplaire, d'une beauté suffocante (en particulier la découverte de Pan, les trois épreuves qu'Ofelia doit traverser ensuite et le final époustouflant), le film interroge l'inconscient qui relie les manifestations autoritaires et dictatoriales aux représentations des monstres mythologiques.

D'un côté le conte de fées comme liberté de choix pour une petite fille qui décide de devenir une Alice, un Petit Chaperon rouge, une Petite Fille aux allumettes. De l'autre, le fascisme et le désir de contrôle des adultes comme destruction obsessionnelle de cette liberté de choix.

D'abord destiné aux adultes en raison de sa violence, Le Labyrinthe de Pan est un hymne à la résistance dans sa forme exigeante, son système de production non hollywoodien et dans sa thématique. Un fantastique film fantastique où rien, ni les grosses bestioles, ni les labyrinthes, ni les ogres sans yeux, ni les fruits empoisonnés, n'est jamais pire que la terreur quotidienne exercée par les hommes assoiffés de pouvoir.

Le Labyrinthe de Pan (Pan's Labyrinth/El Laberinto del Fauno), de Guillermo del Toro (Espagne, Mexique, USA 2006), avec Ivana Baquero, Sergi Lopez, Doug Jones. 1h52.