L'écrivain français Claude Simon, Prix Nobel de littérature 1985 et figure du nouveau roman, considéré comme l'un des plus grands écrivains de la mémoire, est décédé mercredi dernier à Paris à l'âge de 91 ans. L'annonce de sa mort n'a toutefois été communiquée que samedi, après son inhumation.

Son œuvre, exigeante et enracinée dans l'Histoire – éternel recommencement –, fait la part belle aux thèmes de la guerre, du désordre des choses ou des souvenirs. Lui-même en a fait l'amère expérience. Né le 10 octobre 1913 à Tananarive (Madagascar), fils de militaire tué lors de la Guerre de 14, Claude Simon perd en plus sa mère à l'âge de 10 ans. Elevé par sa grand-mère et des tantes dévouées à Perpignan (sud), il fait ses études à Paris, comme pensionnaire au collège Stanislas.

A 23 ans, il rejoint en 1936 les Républicains espagnols. Revenu en France, engagé dans la cavalerie lors du début de la Seconde Guerre mondiale, en 1939, il se retrouve prisonnier en Allemagne. Mais s'évade aussitôt du camp où il est retenu et gagne la «zone libre» française et devient viticulteur. Il s'adonnera également à la peinture – c'est un admirateur d'Uccello – et à la photographie.

Son premier roman, Le Tricheur, paraît après la guerre, en 1946, bien que rédigé en 1941. Trois autres suivent – La Corde raide (1947), Gulliver (1952) et Le Sacre du printemps (1954) – avant que son audience ne s'élargisse à l'étranger avec La Route des Flandres (1960). La notoriété vient surtout avec Histoire en 1967, balançant entre réalité, mémoire et rêverie. Ces deux derniers romans formeront – avec Palace (1962) qui a pour toile de fond la guerre d'Espagne – une trilogie, où l'auteur utilise ses propres souvenirs.

Pour Histoire, Claude Simon reçoit le Prix Médicis (1967). Mais auparavant déjà, La Route des Flandres lui avait valu le Prix de la Nouvelle Vague (1960). Il était en effet l'une des principales figures de ce qu'on commençait à appeler le Nouveau roman, mouvement littéraire dont les membres – Alain Robbe-Grillet, Michel Butor… – furent appelés «les bricoleurs du roman», d'après une formule de Ionesco. Dès 1957, d'ailleurs, avec Le Vent, tentative de restitution d'un retable baroque, Simon avait rejoint les Editions de Minuit de Jérôme Lindon, l'antre de cette tendance.

Consécration des consécrations, c'est en 1985 qu'il se voit décerner le Prix Nobel de littérature pour l'ensemble de son œuvre. En tout, Claude Simon a publié une vingtaine d'ouvrages, dont 14 romans. Effet médiatique: le monde découvre à cette occasion ses yeux «bleu Méditerranée» et sa pointe d'accent méridional. Ses romans les plus célèbres sont réédités. Son écriture toutefois est difficile, avec des phrases longues et denses qui se jettent dans de longues descriptions. Les émotions qu'elles décrivent passent par des évocations de sons, de couleurs, de parfums. Le moindre motif déclenche une prolifération d'associations et d'emboîtements. «Les mots possèdent ce prodigieux pouvoir de rapprocher et de confronter ce qui, sans eux, resterait épars», écrit l'auteur. Tout cet univers de désinences, de références a, du reste, largement contribué à faire éclore nombre de gloses chez les étudiants en lettres et les théoriciens.

Ce sont en fait surtout les romans de la fin des années 1960 qui vont susciter ces exégèses. Car, avec La Bataille de Pharsale (1969) puis Les Corps conducteurs (1971), qui mènent l'un en Grèce et l'autre à New York, Claude Simon entame alors une période plus formaliste. Laquelle se prolonge avec Le Triptyque (1973) et Leçon de choses (1975). Les événements évoqués se transforment en autant de spectacles pour l'écriture elle-même. Et ce n'est qu'en 1981, avec Les Géorgiques, et en 1989, avec L'Acacia, que l'écrivain revient à un équilibre mieux partagé, plus serein, entre destins humains et jeux de plume.

Ainsi, L'Invitation, qui fait l'événement en 1988, lors de sa parution, est un récit qui puise dans les notes prises au cours d'un voyage en Union soviétique. Tandis que Le Jardin des plantes, publié en 1997, revient sur quelques éléments de sa vie, ressassés jusqu'à l'obsession: la débâcle de 1940 et la guerre civile espagnole. Son dernier livre, Le Tramway, paru en 2001, est une bouleversante fresque intime, aussi bien des années d'enfance que de la vieillesse.

Outre son travail d'écrivain, les engagements d'homme de Claude Simon ont montré son ancrage dans son temps. Après sa sympathie pour les Républicains espagnols, il signe en 1983 avec des artistes et écrivains une lettre exprimant leur préoccupation au sujet de la course aux armements. Et en 1996, avec 81 autres lauréats de Prix Nobel, il lance un appel pour «mettre fin» à l'exploitation sexuelle des enfants. «Personne n'est obligé de se taire. A condition de dire les choses d'une manière tant soit peu sensible, harmonieuse ou spirituelle. Dans le cas contraire, mieux vaut évidemment garder le silence», estimait-il.