Il y a des patrons de festivals qui fréquentent chaque année ce festival pour se reposer des festivals. Même les musiciens donnent l’impression d’être en vacances. On les croise dans la station, Chamonix nord, Chamonix sud, en survêtement, comme des touristes, ils font une pause dans leur tournée, et ils en profitent pour donner un concert; c’est presque cela. Cosmo Jazz, 8e année. Les Alpes changent peu, à part la glace qui fond. Mais la musique, elle, bouge tout le temps.

Chaque concert est introduit par le fondateur, André Manoukian, le local de l’étape. Les visiteurs viennent se prendre en selfie avec lui, ils l’ont vu à la télévision. On connaît peu d’hommes publics qui utilisent aussi bien leur notoriété que lui. Il a l’air de toujours balancer une blague, de répéter les mêmes philosophies de comptoir, le côté illuminé du glacier, mais il en dit des choses: sur les Yorubas, sur la transe, sur le régime pelvien des musiques qu’on aime. Alors que l’été est saturé de musiques qu’on n’écoute plus, Manoukian, lui revient à l’essence sacrée du son qui se propage.

Hors micro

Chacun comprend cela lorsqu’Ala.ni s’avance vers un microphone si ancien qu’il ressemble aux attrape-rêves des Indiens. Ala.ni (dont le nom s’écrit mal mais se prononce bien) est la protégée londonienne de Damon Albarn. Elle aurait dû chanter dans un alpage mais, au début de ce Cosmo Jazz, tout était très humide et les organisateurs ont dû se replier sur un parc de Chamonix. La chanteuse en aurait pleuré, de ce revers. On lui promettait la force tellurique, les sommets, on lui donne un bout de ville. Boisé, mais quand même.

Ce concert est d’une telle douceur, à l’orée du silence, que le millier de personnes présent se met la main sur le cœur pour ne pas recouvrir cette voix mutine et cette guitare infime. Al.ani, souvent, chante sans micro, hors micro, dans la foule, assise à terre, elle teste l’écho des choses, comme une montagnarde qui en appelle un autre et à laquelle ne répond qu’une variante, réverbérée, de soi. Sauf qu’on est en ville, qu’elle crie. Et qu’on lui répond «ta gueule» depuis la rue. Personne ne s’en offusque.

Voix et échos

Il y avait deux thématiques en ce début de semaine à Cosmo Jazz. Un travail savant sur la musique noire, sur la great black music. Ala.ni, un peu créole, grenadine, Billie Holiday des palmeraies. Et une espèce de recherche spontanée et funky sur l’écho, le délai, la répétition. Comme cet orchestre, BCUC (dont le nom s’écrit facilement mais se prononce mal), d’Afrique du Sud, habité seulement par des tambours, deux grosses caisses, une basse électrique. Et des voix, partout des voix, auxquelles sont ajoutés des échos, ainsi qu’on le fait dans les sound systems jamaïcains pour donner de l’épaisseur et montrer les fantômes dans les plis du son.

BCUC, c’est quelque chose. Franchement, après un mois entier de festivals, après Montreux, après Paléo, il en faut beaucoup pour remuer l’intérieur. On avait entendu d’excellentes choses d’eux, ils étaient à Antigel, puis au Festival de la Cité. Mais là, on se les prend comme une avalanche chauffée à blanc, une coulée de lave très rapide. BCUC, par sa théâtralité, son urbanité, la harangue permanente, le côté musique électronique sans clavier ni sampler, est peut-être l’un des meilleurs groupes du monde.

Un truc de cinéma

Devant la scène de Chamonix, il y a dix adolescents qui hier devaient piétiner sur des rythmes de synthèse et qui ce soir prennent très sérieusement la musique de jeunes Sud-Africains avec des grosses caisses. Cosmo Jazz, c’est très bien. Jusqu’à mercredi, face à la mer de glace envolée de Montenvers, le Trinidadien de Londres Anthony Joseph a enfilé ses wax africaines; il aime tellement Sun Ra, la science-fiction noire, qu’il a l’air de sortir directement d’un film en Super 8. Il chante qu’il pleut, qu’il fait soleil, sur des solos de saxophones et les percussions immenses de Roger Raspail.

Cosmo Jazz, c’est un truc de cinéma. Deux films qui fusionnent: en l’occurrence les Randonneurs et Shaft. On voit des grosses chaussures et des textiles très technologiques qui respirent à la place de la peau face aux tapisseries cousues mains des musiciens d’Anthony Joseph. Les mondes se frottent. Les anches se désaxent. Cosmo Jazz, définitivement, est un festival qui guérit des festivals.


Au festival ce week-end

Entre les concerts en altitude, chaque fois dans des lieux insolites et accessibles en téléphériques, en train ou à la marche, et les concerts du Parc Cottet, le Cosmo Jazz occupe l’essentiel de la journée. Pour le week-end de clôture, le nouveau patron Charlie Vetter, un mélomane parisien qui a succédé à la Suissesse Carine Zuber, a choisi les sonorités électroniques du duo Aufgang. Mais aussi, samedi, le Foehn Trio, le lyrisme oriental du Libano-Français Bachar Mar-Khalifé et l’incroyable orchestre de Sao Paulo, Metà Metà.

Et dimanche, les Violons du Monde et le projet D.I.V.A. hanteront le Brévent. L’accès aux concerts est libre mais les remontées mécaniques sont payantes pour les concerts de la journée. Le Cosmo Jazz connaît presque chaque année des records d’affluence, il faut compter large pour arriver à l’heure aux sommets. Tard dans la nuit, les jams de la Maison des Artistes ouverte par Manoukian tournent souvent en espaces de liberté.

Jusqu’au 30 juillet. Cosmo Jazz Festival.