la VIE EN COURANT
Aujourd’hui, «Le Temps» court avec Pascal Lamy, directeur général de l’OMC. La course à pied? «Une habitude de vie», dit-il

7h20, bois de Versoix, croisée du chemin des Douves et du chemin de Biolay, à deux pas de la cabane des Bûcherons. Pascal Lamy, 66 ans, directeur général de l’OMC, arrive avec son chauffeur dix minutes avant le rendez-vous. L’opportunité s’offre, avant la séance photo, de faire, en marchant, le tour de l’étang. Puis Pascal Lamy, une douzaine de marathons à son actif (un record personnel à 3h40 à Bruxelles), lance ce jogging matinal dans une forêt où il apprécie les «grands et superbes arbres», la fraîcheur et, de temps à autre, le spectacle de sangliers traversant les chemins.
Pascal Lamy court tous les jours. Ou presque. Surtout le matin. A Genève, à proximité du Petit-Saconnex, du côté du jardin de la Paix et du parc de Trembley, ou en fin de matinée et le week-end dans les bois de Versoix. «Et surtout en voyage, à l’étranger», ajoute-t-il. L’homme qui parcourt annuellement 450 000 kilomètres à travers le monde dans ses fonctions de grand arbitre du commerce mondial glisse presque systématiquement ses baskets dans ses bagages. «A cause de la pollution et des difficultés de trafic, il y a quelques villes où je ne cours plus: Mexico, Delhi, Pékin, São Paulo, Djakarta…» Sauf exception, Pascal Lamy court seul. De quarante minutes à deux heures, selon les plages que lui accorde son agenda. «Toujours je termine par quinze minutes de stretching. Cette pratique m’a évité des blessures sévères liées à la course à pied, alors que le tennis que j’ai longtemps pratiqué ne m’a pas épargné. Mais, si j’ai le choix et surtout du temps à disposition, je préfère aujourd’hui le vélo, qui m’offre les mêmes bénéfices cardio-vasculaires et moins de stress pour le corps.» Etre à l’écoute de son corps est primordial pour lui. La vie professionnelle et la gestion des voyages intercontinentaux ont forgé chez Pascal Lamy une solide expertise dans la préparation physique, la nutrition, la récupération.
D’où vient cette «habitude de vie», comme il l’appelle? «Je fais de la course à pied depuis mes études à HEC. A l’époque, il y avait une grande compétition annuelle entre HEC et Sciences Po qui motivait tous les étudiants. J’ai ensuite moins couru. J’ai repris lorsque je suis devenu directeur adjoint du cabinet du premier ministre Mauroy en 1984. La pression y était telle que j’avais besoin d’en sortir. Depuis, je n’ai jamais cessé de courir. Une fois cette habitude prise, cela devient un besoin. Certains parlent même d’addiction.» En faisant référence à l’écrivain japonais Murakami qui accomplit chaque matin les mêmes 10 kilomètres, Pascal Lamy parle de forme «obsessionnelle». Avec une pointe d’admiration devant cette discipline physique et spirituelle. «Courir, c’est aussi s’intégrer, s’immerger dans un lieu.» Pendant son mandat à Genève, Pascal Lamy a participé aux grandes courses de la région lémanique. «Courir, prolonge-t-il sans essoufflement, est une manière de se laisser pénétrer par le lieu où l’on est, une manière de réfléchir, parfois de méditer. En courant, l’imagination est plus libre.»
Ses plus beaux souvenirs de course à pied? «Je suis surtout ébloui par la nature. Je n’oublie pas un footing au Taj Mahal, une tournée des temples à Angkor. Et puis il y a New York, et son incomparable marathon. C’est LE marathon», souligne-t-il. Pour la traversée des quartiers de la ville, pour l’énergie des spectateurs sur tout le parcours qui encouragent les coureurs, pour le respect que tout Américain accorde à qui a bouclé le parcours mythique à Central Park. «Face aux jeunes traders new-yorkais que la banque comptait à Wall Street, je pesais à leurs yeux davantage par le fait d’avoir fait le marathon que par ma science des dérivés de crédit», se rappelle celui qui a redressé le Crédit Lyonnais de 1994 à 1999 avec Jean Peyrelevade.
A l’évocation de ces jeunes loups de la finance, la foulée de Pascal Lamy se fait plus rapide. Sans le dire, il accélère l’allure, monte le tempo sur un faux plat. En quelques pas, il fait la preuve d’une fort belle forme physique. Et demain? Celui qui achève son deuxième mandat à la tête de l’OMC laisse toute option ouverte sur l’après 31 août. Pascal Lamy quittera Genève pour s’établir entre Paris et sa région d’origine, la Normandie. Et s’il dispose enfin de davantage de temps, il préparera un marathon, une distance qu’il n’a plus courue depuis quatre ans. Où? «En novembre, à New York.» Evidemment.
Bientôt 8h30. Sept kilomètres de plus ajoutés au compteur de Pascal Lamy. Dans une demi-heure, il sera devant les représentants des 15 chaires que l’OMC finance depuis quatre ans dans 15 universités de pays en développement.
«Courir, c’est aussi s’intégrer, s’immerger dans un lieu»