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Avec «Cours, Lola, cours», Tom Tykwer secoue enfin un cinéma allemand assoupi

Look d'enfer, style déjanté et musique techno en proue, «Lola rennt» aurait pu justifier une certaine méfiance. Miracle, c'est un film d'auteur qui échappe au n'importe quoiComme l'Ecossais Danny Boyle avec «Trainspotting», Tom Tykwer prouve que les nouvelles formes peuvent aussi donner du vrai cinéma: jeune et un peu cynique, mais qui véhicule encore du sens

En hibernation depuis une quinzaine d'années, le cinéma allemand redonne quelques signes de vie. On placera sans hésiter Lola rennt et son réalisateur Tom Tykwer à l'avant-garde de cet hypothétique renouveau. L'an passé, ce film a été le seul à tenir tête à l'armada américaine au «box office» allemand, prenant la 19e place avec plus de deux millions d'entrées. Mais il s'est aussi vu sélectionné à nombre de festivals, de Venise à Sundance en passant par Genève. Pour son troisième opus, le jeune cinéaste a en effet tenté une gageure: réconcilier le commerce et l'art et essai, sur fond de course à l'argent, de musique techno et d'hommage à feu Krzysztof Kieslowski…

Si Lola, 20 ans et crinière rouge au vent, court à en perdre haleine, c'est parce que son ami Manni est dans le pétrin: ayant oublié dans le métro les 100 000 marks d'un trafic de drogue, il n'a plus que vingt minutes pour ne pas avoir à affronter son inquiétant «patron» les mains vides. Vingt minutes pour que Lola parvienne à soutirer la somme à son banquier de père et empêcher que Manni ne fasse une bêtise de plus en braquant un supermarché.

Ce canevas posé, le cinéaste sort son joker: une déclinaison selon trois possibilités, comme dans le mémorable Hasard (1982) de Kieslowski. Trois mini-scénarios successifs, qui bifurquent pour aboutir soit sur la mort, soit sur une fin heureuse. Le principe est amusant, le propos pas idiot, le style frappant. Si Tykwer ouvre son film sur une méditation typiquement germanique sur la condition humaine, ce n'est que pour mieux l'envoyer promener. L'air de rien, au milieu d'une véritable bordée d'idées visuelles (dessin animé, accéléré, split-screen, montage-photo, etc.), son film parle du destin et du hasard, de l'argent et de l'amour, d'une jeunesse qui ne se reconnaît plus dans les modèles parentaux.

Le premier film de l'auteur, Die tödliche Maria, révélait un fou de cinéma autodidacte qui empilait les références à ses cinéastes favoris: Fassbinder, von Trier, Greenaway et Errol Morris. Cette fois, les influences ont été digérées. Plus souterraines, elles assurent que le film ne sombre pas dans le n'importe quoi. Comme la bande-son qui parvient à faire cohabiter techno et Charles Ives (The Unanswered Question), le ton concilie avec succès une touche de cynisme actuel et l'aspiration à mieux.

Cours, Lola, cours (Lola rennt), de Tom Tykwer (Allemagne, 1998), avec Franka Potente, Moritz Bleibtreu.