Critique. «Alice et autres…», compliqué à merveilles!

«Il paraît que je suis une petite fille très compliquée», avertit Alice d'emblée. Eh bien le spectacle créé à Am Stram Gram est à son image, compliqué, mais c'est comme ça qu'on l'aime. Cette Alice a donc deux pères, Lewis Caroll et Fabrice Melquiot, ce qui justifierait quelques embrouillaminis. Mais, à quelque 120 ans de distance, ces deux-là ont glissé les ingrédients les plus divers dans leur sauce littéraire sans la rendre indigeste. Ainsi, aux multiples aventures de la jeune rêveuse imaginées par Caroll, Melquiot a ajouté encore quelques rencontres savoureuses.

A commencer par celle du vieil homme à la barbe fleurie de pâquerettes qu'Alice déclare pour mort mais qui accompagnera son furieux périple comme le plus aimable des conteurs. Philippe Morand se glisse avec élégance dans ce rôle à la fois discret et omniprésent. Il forme un duo tout en équilibre avec Alice, fillette ébouriffée et point trop douillette que Marie Druc interprète aussi sans forcer la touche. Pour le reste, une dizaine de comédiens font vivre les personnages de Caroll, comme la Substitortue, les oiseaux de la course au Caucus ou encore les cœurs du jeu de cartes, et ceux que Melquiot a rapatriés de tout l'univers jeune public, compagnons littéraires d'Alice comme le Petit Chaperon rouge ou Pinocchio, mais aussi produits plus récents, comme E.T., qui veut se venger de son amour déçu pour Alice en détruisant la planète, ou Barbie, menaçante avec son 43 de QI.

Tous sont captivants, grâce à leurs échanges avec Alice, parfois vifs, mais aussi à l'apparence que leur a donnée le scénographe Gilles Lambert, qui a participé dès le départ au projet avec les metteurs en scène Dominique Catton et Christiane Suter. Si elle jongle un peu avec les esthétiques, la folle succession de tableaux qu'il a imaginée, avec de beaux défis techniques, laisse pantois. Pour n'en citer qu'un, le terrain de croquet de la Reine, avec ses centaines de loupiotes, est des plus magiques, et le couple royal (Nathalie Boulin et Claude Vuillemin) inoubliable.

Le spectacle - pourquoi faire simple quand le compliqué est si merveilleux - est encore ponctué des «songs» de Melquiot, mises en rock par le Genevois Simon Aeschimann.

Alice et autres merveilles. Am Stram Gram, rte de Frontenex 56, Genève. Loc. 022/735 79 24. Jusqu'au 6 nov. 1h40 plus entracte.