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Critique. La beauté sombre d'une tsarine

Critique.

Pour servir celle que l'Occident ignorait jusqu'à l'arrivée de Gorbatchev et que l'Union Soviétique avait mise sur la liste noire des compositeurs fauteurs de «formalisme», un orchestre drapé de légende: le Philharmonique de Berlin avec son chef Simon Rattle. Pour donner vie à sa dernière composition, une violoniste qui n'a jamais élu domicile dans le domaine de la musique contemporaine: Anne-Sophie Mutter. Comme cadre, le somptueux KKL de Lucerne et son festival de tous les superlatifs. Il y a vingt ans, la compositrice tatare Sofia Goubaïdoulina ne pouvait sûrement pas imaginer qu'elle allait, un jeudi soir de fin d'été, être au centre de tout ce faste. La voir monter sur la scène, habillée en garçon, la foulée large et la tête rentrée dans les épaules, empreinte d'émotion et de timidité, laisse entendre à l'assistance ce que cette ancienne collaboratrice de Chostakovitch a dû endurer. Les traces, noires, de son parcours, sont audibles sur son Concerto pour violon N° 2, créé en première mondiale à Lucerne sur commande de la Fondation Paul Sacher, et spécialement conçu pour Anne-Sophie Mutter. Une œuvre sombre, à l'orchestration raffinée et jamais opulente, à l'écriture remarquable, où le violon est au comble du lyrisme et les pupitres porteurs d'un chaos suggéré. Les Berliner et Anne-Sophie Mutter laissent sans souffle tant leur ton est juste.

Plus tard, seconde secousse avec trois airs de l'opéra Le Grand Macabre de Ligeti que chante la soprano Caroline Stein. Son rire solaire habille un chant voltigeur, qui se défait avec insolence d'une partition truffée d'obstacles et d'ironie. Puis, à la fin du concert, la déception: une Symphonie en trois mouvements de Stravinski que les Berliner font couler sans feu, sans verve ni accents.