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Critique. Délit d'innocence?

Critique.

Fait-on du racisme positif quand on se réjouit de la fraîcheur avec laquelle Habib Dembélé et Pitcho Womba Konga racontent comment Sizwe Banzi est mort? Cette question provient d'un spectateur courroucé à la vision de la dernière création de Peter Brook, à voir à Lausanne avant une tournée au Moyen-Orient et une escale au Festival d'Avignon. Cet habitué regrette que chaque élément énoncé soit également mimé ou que les acteurs privilégient des attitudes à la naïveté exacerbée. Il y aurait flagrant délit d'innocence et une manière de renvoyer l'Afrique à ces copies d'immaturité... Du coup, le racisme positif deviendrait racisme tout court et le blâme encore plus lourd.

Mais non. Si cette création adopte un ton très gai pour raconter une histoire sombre, c'est simplement parce qu'elle est issue des townships plays, pièces de la résistance sud- africaine nées en plein apartheid dans les années 50, et dont le principe consistait à rire de toutes les discriminations alors imposées à la population noire. C'est donc légitimement par la dérision que l'auteur Athol Fugard et les deux comédiens qui ont collaboré à l'écriture retracent l'aventure de Sizwe Banzi, au passeport mal doté. Pour nourrir les siens, Banzi doit endosser l'identité d'un cadavre trouvé dans la rue et dont le pass' mieux estampillé permet d'aller travailler dans la grande ville d'à côté. Cruel dilemme, car il faut accepter de vivre avec le fantôme d'un autre pour cesser d'être un fantôme aux yeux des Blancs et de sa propre famille. «Quand on sait ce que le lignage représente en Afrique, abandonner le nom de ses ancêtres, même pour manger, constitue un immense sacrifice», commente Peter Brook, très touché par le sort des sans-papiers. «On est dans la même nécessité de survie que celle de ces jeunes illégaux qui jouent au foot en plein cœur de Paris dans l'espoir de se faire repérer par un recruteur.»

Exit, donc, le spectre du racisme. L'empathie est palpable et la facétie ne domine que pour mieux prendre le contre-pied de l'adversité. Du reste, difficile de bouder son plaisir lorsque, dans le récit, Banzi est initié à sa nouvelle identité. Au travail, au magasin, à la police et même à l'église, son acolyte lui fait répéter toutes les situations où il pourrait se trahir, et le public se régale à chaque piège imaginé, puis dépassé. Plaisir donc, mais aussi soupir devant le destin de ceux qui doivent s'amputer d'une part de leur identité pour continuer à exister.

Sizwe Banzi est mort, Théâtre Vidy- Lausanne, jusqu'au 17 mai, tél. 021/619 45 45.