Critique. Epopée au coeur de l'Afrique fantôme, «Animal» passe mal

Le critique a une règle d'or: ne jamais piquer du nez. Comme l'aiguilleur du ciel, il se doit d'être aux aguets. Comme on s'est souvent ennuyé l'autre soir devant Animal du Français Roland Fichet au Théâtre de Vidy, on a beaucoup observé le public. Certains dormaient et on s'est dit que le théâtre a parfois cette vertu: offrir une aire de repos. Beaucoup tentaient de ne pas perdre le fil de cette épopée africaine montée par Frédéric Fisbach, tête pensante de la scène francophone. On s'est surpris à leur tresser intérieurement des louanges. Et puis on est revenu à la scène, aux sept acteurs européens et africains épatants d'homogénéité. On a regretté de ne pas entrer dans leur conte, tant ils se dépensent sur une scène presque nue, reflétés au fond, comme autant de fantômes, par une paroi miroitante.

Pourquoi cet Animal ne passe-t-il pas? Auteur voyageur, Roland Fichet a beaucoup séjourné en Afrique, avant de dérouler son épopée. Son conte a sur le papier la beauté d'une parabole: interprété par l'excellent Pierre Laroche, le Français Kalonec retourne en Afrique sur les traces de son ami Willi, toute l'âme d'un continent en une voix. Mais le prodige a disparu et Kalonec est condamné à pister le chanteur au cœur d'un pays malade, victime de l'Occident. Ce qui irrite alors, ce n'est pas le sujet, mais la langue de l'écrivain tantôt logorrhéique, tantôt hermétique. Rien à voir par exemple avec l'agilité poétique d'un Olivier Cadiot ou l'invention farceuse d'un Valère Novarina.

Pour que cette parole frappe, il eût peut-être fallu l'élaguer encore. Un théâtre-laboratoire comme le prône Frédéric Fisbach implique aussi que le public soit prévenu, si on ne veut pas l'assommer. Au dernier Festival d'Avignon, le metteur en scène a déjà connu cette déveine: son Illusion comique de Corneille était tellement décomposée qu'elle faisait fuir par grappes des spectateurs hors d'eux. La recherche a sa nécessité, mais il faut qu'elle soit généreuse. Sinon, autant jouer en vase clos.

Animal,

Lausanne, Théâtre de Vidy,

jusqu'au 6 mars (loc. 021/619 45 45).