Critique. Des rêves en Contrechamps
Critique.
C'est le programme qu'on trouverait dans ses rêves restés trop souvent inassouvis. Vendredi soir, dans un Studio Ernest-Ansermet à Genève plein à craquer, L'Ensemble Contrechamps et le Nieuw Ensemble Amsterdam lui ont conféré des formes réelles, avec deux œuvres très attendues. Le Concerto pour violon de Ligeti, tout d'abord, qui incarne à lui seul un voyage inouï à travers les reliefs accidentés et virtuoses d'un «Præludium: Vivacissimo luminoso» et d'un «Appassionato: Agitato molto» à ôter le souffle. Deux mouvements entrecoupés par les plaines oniriques d'un triptyque en forme d'énigme («Aria, Hoquetus, Choral: Andante») et par une «Passacaglia: Lento intenso» suspendue dans l'éther. On sort de cette œuvre éberlué, foudroyé par la voracité du violon de l'Américaine Jennifer Koh. Son archet agresse les cordes sans jamais s'approcher des dangers du strident; ses crins cassent mais le violon demeure dans les sonorités rondes et chaudes. Eh puis, il y a cette cadence finale, dévalée dans le vertige, qui révèle chez la violoniste une technique époustouflante.
Plus tard, les flux et reflux de... exposante-fixe... de Boulez plongent l'assistance dans un tout autre univers, plus magmatique (mais jamais lourd), tourné vers ce langage en spirale et par couches superposées que le compositeur français affectionne particulièrement. La flûte de l'excellent Jacques Zoon active et pilote un dispositif informatique (mis au point par l'Ircam) qui crée de saisissants effets d'échos. Les deux ensembles, en arrière-plan, avancent par vagues précises, sous la direction passionnée de Jurjen Hempel. C'est la deuxième grande réussite d'une soirée qui avait débuté avec le très beau Der ferne Klang de Heinz Holliger. Cette mise en bouche faite d'une longue nappe sonore a opéré comme une promesse de rêves dorés, avec ses dissonances prolongées et ses convergences rares et courtes vers l'accord parfait.