Lorsqu'il lui a décerné le Prix Nobel de littérature 2005, Horace Endgahl, président de l'Académie suédoise, a salué chez Harold Pinter sa capacité à «dévoiler les abîmes qui sous-tendent le bavardage quotidien et se frayer un passage jusqu'aux chambres closes de l'oppression». Abîmes et oppression se précipitent en effet dans le récit de ces tromperies en série. Petit a de ce boulevard des hic: le mari cocufié par son meilleur ami. Petit b, l'amant trompé par un mari plus informé qu'il n'y paraît. Petit c, la femme, proie dépitée de ces hommes finalement peu impliqués. Le tout en flash-back, avec une rasade d'alcool à chacune des stations du chassé-croisé. Boire pour oublier la médiocrité de l'amour au rabais, mais boire aussi pour constater que tout flotte dans le flou et que le mensonge est bien plus humain que la vérité.
A ce jeu des repères brouillés, il est cocasse de voir Juliana Samarine et Jacques Probst, époux à la ville, se cacher, à la scène, pour s'aimer. Les voilà donc amants, empressés puis lassés, tandis que le mari a les traits parfaits de Michel Voïta et, ici, son regard d'acier. Le comédien excelle dans le registre figé, dissimulant la douleur des coups portés. Plus il souffre, plus il sourit et plus son discours aligne les banalités. Poignant. Et le décor tournant a beau déployer ses intérieurs cosy, on ressort convaincu d'avoir entendu en creux l'aigu d'un cri.
A la Comédie de Genève, jusqu'au 2 juin, rés. 022/320 50 01, 2h 10