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Critique. Le spectateur, ce héros moderne

Critique.

L'expérience est reine désormais au Théâtre du Grütli à Genève. Exit les gradins! Abolie, la sacro-sainte frontière entre la scène et la salle! Codirectrices depuis cet été de la maison, Michèle Pralong et Maya Bösch privilégient les manipulateurs d'éprouvettes, ceux qui mélangent les gènes d'un art et d'un autre, qui fabriquent d'autres formes de jeu.

A l'affiche jusqu'à dimanche, Utzgur! relève de cette veine d'apprenti-sorcier. Tout désoriente dans ce spectacle signé Anna Van Brée sur un texte du Valaisan Mathieu Bertholet - auteur qui se partage entre Berlin et Genève. On est parfois assommé par l'hermétisme immature de l'entreprise. Mais aussi séduit par ce panache qui consiste à balayer les certitudes, à invoquer les racines helléniques du théâtre pour mieux lui prêter d'autres visages.

Au seuil d'Utzgur!, l'inconnu. Dans la salle, un film projeté sur toute la paroi. Six jeunes gens dans un chalet de montagne. L'un fugue sur une route, halète dans un tunnel, plonge nu dans un lac. Ce sont des solitudes saisies par le cinéaste Frédéric Lombard. Le métier d'homme quand il cherche à éprouver son corps et la matière. Ces images sont un puissant préambule au sujet de Mathieu Bertholet: la possibilité d'être héroïque aujourd'hui.

Ce premier acte filmé, on le vit assis sur un tronc. Puis on passe dans une autre salle, jonchée de jouets miniatures. D'autres troncs nous attendent. On y retrouve les acteurs du film. L'un, crâne nu, crache en anglais qu'il est le roi des ombres. Un autre évoque le sexe bandé d'un amant de passage, un autre encore décrit la mutation d'un enfant perdu en terroriste.

Dans cet essaim de mots, on entend le désarroi de Mathieu Bertholet, sa soif de corps, son effarement devant les ruines d'hier et d'aujourd'hui.

Ce texte, c'est une pellicule avant le montage. Il faut de la force pour la dérouler. Les acteurs en ont. Le public en a aussi pour supporter truismes et vanités de l'opus. Car c'est le spectateur, le vrai héros de la soirée. Lui qui accepte de ne plus savoir. C'est notre soif partagée de comprendre qui fait le prix de la représentation. Utzgur! a ce mérite: souffler qu'on va au théâtre pour se perdre, dans l'espoir insensé de se retrouver.

Utgur! (2h), Genève, Théâtre du Grütli, 16, rue du Général-Dufour, jusqu'au 5 novembre (loc. 022/328 98 78).