Une soirée piège à oublier, vite! Le Théâtre de l'Alhambra à Genève affichait complet mardi. Dans la salle, des directeurs d'institutions, des dramaturges invités par la Société suisse des auteurs, la radio et la télévision. Tous là, rêvant d'ovationner la plume de la Lausannoise Sandra Korol, dont le KilomBo cet hiver à Vidy avait fait forte impression. La jeune femme, 30 ans, a tout pour séduire: des racines mêlées, russes et argentines, des fables métissées dans les veines, un lyrisme. Directrice du Poche, Françoise Courvoisier entendait faire briller tout cela en montant Salida, histoire de sexe et de mort sur des airs de tango. Mais le spectacle est confondant de naïveté avec ses courtisanes crues, mais au cœur caramel comme le veut l'archétype, ses rares tensions noyées dans le tango du trio Siglotreinta.
Pourquoi Salida ne prend pas? Le sujet? Peut-être. Son traitement? Certainement. Sandra Korol imagine un lupanar où échoue une nuit d'orage un ténébreux (Pietro Musillo) victime d'une panne. Le voici cerné au cœur d'un repaire où règne la pute Begonia (Dominique Gubser) où s'envenime une comtesse-maquerelle (Margarita Sanchez), où grogne un guapo moustachu (Sandro Palese). Sur la page, ce sont des figures rêvées, une quête d'absolu diffractée. Sur scène, ce sont des fantoches qui se cambrent, un drame de cœur qui accouche mollement de ses secrets.
Oui, le premier degré ne sied pas à Salida. On se surprend alors à rêver d'un autre spectacle où les acteurs chuchoteraient plus qu'ils ne crieraient, où les joliesses seraient bannies - un nuage de fumée en apothéose pour le dernier tango - où la musique ne serait plus la béquille du verbe, où un lecteur réellement aux aguets - l'éditeur, c'est son rôle, dit-on - aurait taillé là où ça déborde. Pauvre tango, donc, devant un parterre avide de consacrer une jeune dramaturge talentueuse. Laissons lui le temps de déployer ses ailes.
Salida (1h20), Genève, Théâtre de l'Alhambra, rue de la Rôtisserie 10, jusqu'au 11 juin (Loc. 022/310 37 59)