«Prends un siège, Cinna.» Cette amorce d'Auguste dans la tragédie de Corneille initie un long développement où le tyran dit son dépit d'être trahi par son favori. Même topo au Galpon. Lâché au milieu du plateau, chaque spectateur choisit son tabouret pour écouter une heure durant le réquisitoire d'un siècle qui a mal tourné. Et, surtout, pour observer l'exploitation d'un dispositif imposant où livres-cercueils, baignoires dressées et squelettes de taille humaine racontent le naufrage de l'humanité. «Je me couchais par terre et j'entendais le monde tourner au pas cadencé de la putréfaction», lance Hamlet. Noyée dans une baignoire, Ophélie lui répond: «Je suis Ophélie aux veines ouvertes... hier, j'ai cessé de me tuer... Je vais dans la rue vêtue de mon sang.» Lapidaires et métaphoriques, les phrases de Heiner Müller ont à voir avec la musique. Judicieux, dès lors, que ce texte-matière soit parfois chanté par les comédiens (Clara Brancorsini, Mario Barzaghi, Jose Ponce, Anouck Couvrat et Pierre Lucat) ou proféré en langues étrangères. De la même manière, un désir ardent accompagne ce triste chant. Ainsi, du cabaret à la salle de torture en passant par le final au sommet d'un charnier de poupées, Eros drague Thanatos et la danse macabre a de la fièvre par poussées. Un univers de prédilection pour Gabriel Alvarez qui, avec Artaud ou Genet, a déjà montré son attachement pour ce théâtre de la combustion.
J'étais Hamlet..., au Théâtre du Galpon (bd Saint Georges à Genève), jusqu'au 3 décembre, rés. 022/321 21 76. Durée: 1h.