Un opéra sous une tente? L'expérience a de quoi rendre perplexe. Mais Verbier ose le pas pour une deuxième fois. On garde un souvenir étincelant d'Elektra il y a trois ans. Le Requiem de Verdi, servi l'été dernier par James Levine, a aussi marqué l'histoire du festival. Cette fois-ci, c'est Simon Boccanegra que le chef américain aborde avec l'orchestre des jeunes et une distribution digne du MET de New York. Si l'on regrette l'absence de toute mise en scène, l'émotion était là, palpable jeudi soir.
Car «Jimmy» n'est jamais plus convaincant que lorsqu'il aborde des fresques lyriques. Lui dont la baguette de poids a paru molle et placide dans certaines symphonies de Mahler baigne dans son élément. Plus économe que jamais, esquissant de petits gestes que seuls les musiciens sont à même de décrypter, il peint une toile dramatique sombre et lumineuse (à la manière d'un Rembrandt), sans enfler le son. Les violons, d'un soyeux admirable, les violoncelles et les contrebasses, qui donnent voix aux motivations secrètes des personnages, font de l'UBS Verbier Festival Orchestra un instrument souple et expressif. Chauffé à blanc, The Collegiate Chorale de New York anime les cris du peuple gênois.
Impressionnante de grandeur et d'aplomb, la basse Ferruccio Furlanetto rend toute sa hargne et soif de vengeance au noble offensé Fiesco. Son ennemi juré, le plébéien Simon Boccanegra, n'en paraît que plus vulnérable et humain. Le baryton Carlo Guelfi n'éclipse pas le souvenir de Piero Cappuccilli. Mais cette voix onctueuse, forte et tendre, un rien nasale et claire, incarne avec une sincérité désarmante les tourments du doge de Gênes. On oubliera le caverneux Morris Robinson (Pietro), on saluera le tout jeune Américain Jordan Bisch, grave et sonore, mais trop bien élevé en Paolo. Aux voix sombres masculines s'oppose le timbre clair de Barbara Frittoli (Amelia). Si son chant est affublé d'un vibrato gênant, elle tisse de beaux sons filés. Elle forme un couple heureux avec le ténor Marcello Giordani (Gabriele) qui, après un premier acte à l'intonation incertaine, fait briller un aigu du tonnerre.