Sur le malecón, long front de mer grignoté par le sel, des troubadours se déploient la nuit tombée. Pour quelques pesos convertibles, ils interprètent les hymnes oxydables du Buena Vista Social Club face à des touristes qui ont le goût des tropiques. A La Havane, on ne paie plus sa musique en monnaie nationale, mais dans cette devise créée par le comité central pour sauver l’économie insulaire. Fondateur du mythique ensemble Los Van Van, le bassiste Juan Formell s’est plaint souvent de ce paradoxe qui rend inaccessible leur musique aux Cubains.

Il y a quarante ans, jeune homme sorti de l’orchestre de la police révolutionnaire, Juan Formell y croyait à cette société neuve où tout serait enfin dépoussiéré, de l’agriculture à la culture. Il quittait alors l’Orquesta Revé pour lancer Los Van Van, grande machine à coaguler les rythmes africains, les menuets français et même le rock. A cette époque, Fidel Castro décide d’interdire les Beatles, alliés à frange du capitalisme yankee. On écoute «Yellow Submarine» dans des caves rouges. Des dizaines de groupes sont alors fondés, qui calquent leur nom sur celui des bandes anglo-saxonnes: Los Brincos, Los Mustang. Et Los Van Van. Ceux qui vont, vont. Un nom qui, déjà, relève du double sens.

C’est la spécialité de Formell, d’ailleurs. Faire chanter le quotidien et ses drames par les meilleures voix cubaines, mais d’une manière si innocente qu’elle lui évite la confrontation avec le pouvoir. Au fil des ans, Los Van Van a augmenté la part de chansons d’amour, dans son répertoire. La révolution, chez Formell, est ailleurs. Ce ne sont pas les textes, mais le son. En parallèle des académies de plein air où l’on apprend le tambour yoruba devant des figurines de saints chrétiens qui sont des esprits nègres, à côté des conservatoires classiques où d’anciens professeurs soviétiques ont formé des générations de doigtés, Los Van Van est une autre école de musique. C’est très loin de là, à New York, que s’invente une musique à forte teneur cubaine, la salsa. Los Van Van sera la réponse, permanente, frontale, aux émigrés latins sur le sol américain. Ils jouent au Carnegie Hall, à Las Vegas et même à Miami, devant des foules de Havanais en exil qui ont l’impression de se retrouver sur la Plaza de la Revolución, un jour de canicule. Los Van Van, quand tout se désagrège autour de lui, reste cet orchestre qui ne plie pas. Arnaud Robert

Los Van Van, ce soir, 22h30, Village du monde. www.paleo.ch

Cette chronique aborde une île chaque jour de ce Paléo Festival habité cette année par les Caraïbes.