Le 3 mai 1968, le gouvernement français ferme la Sorbonne sans savoir qu'il vient de donner le coup d'envoi des événements que l'on commémore aujourd'hui à coups de documents et de témoignages. Une époque. Qu'est-ce qu'il en reste? Pour ce qui est de la vie politique et sociale, beaucoup, paraît-il. Ou très peu, c'est selon. Les années 1960, la vie qu'on y menait, la situation, les espoirs, c'est autrefois, du passé, très loin d'aujourd'hui, quatre décennies plus tard, figées dans des clichés. Des images: voitures incendiées au Quartier latin, charges de CRS dans la nuit, usines aux grilles fermées occupées par les ouvriers... Des slogans: interdit d'interdire, sous les pavés la plage, l'imagination au pouvoir...

Quelque chose a traversé le monde de Tokyo à San Francisco, de Berlin à Milan, difficile de dire ce que c'était exactement. Un souffle, une saute d'humeur dans l'histoire des mentalités. C'est la débrouille pour les raconter. Peut-être y a-t-il le chemin buissonnier de la culture sous toutes ses formes qui s'est retrouvée cul par-dessus tête.

Inventaire: des livres prémonitoires, une foule amoureuse, de la musique déchaînée, des cinéastes qui passent de l'acte à la parole, des peintres qui exposent leurs toiles sur une scène de théâtre, des corps qui en appellent d'autres à l'amour, une insolence qui irritait terriblement les détenteurs de l'autorité, et l'expression presque frénétique du désir de vivre ensemble sans violence contre les violences sociales, celles de la guerre du Vietnam surtout, qui provoquait la colère.

En Californie, au Festival de Cannes, dans les studios de Hollywood et dans ceux de la télévision publique française, dans les musées, sur les scènes d'Avignon ou de Genève, les œuvres d'art et les artistes n'accompagnent pas servilement une époque, ils n'en sont pas le reflet, ils la font. Le public qui va les voir n'est pas seulement consommateur, il veut participer à l'action. Voici une vue aérienne, le récit fragmentaire de la culture des années 1965-1970, traversées par l'exercice de la liberté, la volonté de penser par soi-même, et l'amour de l'amour; un chant où l'on entendait en bruit de fond, ce qu'on oublie trop souvent, le bourdonnement sourd des armes, celles d'une guerre injuste au Vietnam et des bombes terroristes à venir.