D’Angelo, ressuscité un soir d’hiver

Musique Le chanteur américain, après quinze ans d’absence, démarre mercredi sa tournée à Zurich

On l’avait abandonné il y a quinze ans, le torse taillé à la machette, presque nu, à chanter les vieux sortilèges cajuns d’un vodou de nouvelle soul. Il réapparaît le 31 janvier dernier, au Saturday Night Live, emmitouflé dans des capuches invraisemblables, un perfecto d’école, le bandana noué comme dans les ghettos d’antan, et une silhouette à ses pieds dessinée avec des scotchs – comme sur les scènes de crime pour entourer les macchabées. D’Angelo est ressuscité ce soir d’hiver.

Aucun de ceux qui l’ont connu en 2000 n’a pu l’oublier. Malgré la profusion de black music, dans ces années-là, malgré la patine d’Erykah Badu, Lauryn Hill, les divas glorieuses d’un rythme que l’on qualifiait de rénové. Ils débarquaient tous en embuscade, à l’aube d’un siècle, pour revisiter avec scrupule et ambition l’héritage de Sly Stone, de George Clinton, les «funkeries» de Scapin, la Motown de leurs parents. Il y avait dans cette génération une sorte de désinvolture limpide. Qui, forcément, passait par la case hip-hop.

Et Michael Eugene Archer, surnommé D’Angelo, né en 1974 en Virginie, s’inscrivait dans cette petite révolution mais l’outrait aussi avec une grâce qui semble, aujourd’hui encore, inégalée. On réécoute cet album, Voodoo, des instincts anciens passés au karcher de la solitude moderne. Il joue de tout (comme ses maîtres Sly Stone, Prince), passe du clavier à la guitare, chante sur trois octaves et davantage, raccommode lui-même les chœurs. Il y a, dans ce disque, une exigence de lisibilité qui n’exclut pas la nuance, le nébuleux, un érotisme éthéré.

Depuis lors, D’Angelo avait disparu. Obèse, alcoolique, de faux retours longtemps anticipés: tout a été dit de cette absence et on s’attendait, au fond, à ce qu’il reste un autre Salinger, dont L’Attrape-cœurs aurait été un disque nommé vaudou.

Un retour, un chef-d’œuvre

Et en décembre, sans rien annoncer à quiconque, D’Angelo est revenu. Sur le Net. Quelques mesures. Un titre: «Black Messiah», le messie noir, pour que rien ne soit laissé au hasard. Combien de héros se sont fracturés l’armure sur un retour impossible? Combien de tournées organisées pour payer des impôts, des divorces, un ultime tour de manège? On s’attendait au pire. «Black Messiah» est un chef-d’œuvre. Il ne reprend pas Voodoo où on l’avait laissé. Il comprend que la nu-soul est un slogan laminé, que quinze ans ont passé et que rien ni personne ne l’a attendu pour défriser entre-temps l’odyssée de musiques noires. Sur la scène du Saturday Night Live, il déjoue une guitare épileptique, murmure des choses sales, d’une face d’ange.

D’Angelo décide mercredi d’ouvrir sa tournée par Zurich, le jour même de son 41e anniversaire. Il sera entouré du bassiste de Voodoo, Pino Palladino. Et d’un groupe resserré, voué entier à la magie et au souffle. On y sera.

D’Angelo en concert. Mercredi 11 février 20h, Kaufleuten Zurich. www.kaufleuten.ch. Complet.