Façon Trierweiler, elle y dénonce un mari peu affectueux et souvent absent
Ah, si seulement une fois, rien qu’une fois, il lui avait offert des fleurs à la naissance d’un enfant. Ce n’est pourtant pas l’occasion qui a manqué: le couple en a huit. Pour le premier, Danuta Walesa, fraîchement débarquée de sa campagne, a attendu le geste. Rien. Lech avait même plutôt l’air triste à la maternité. Pour le deuxième, puis le troisième… toujours pas le moindre bouquet. Alors, elle a fini par ne plus attendre.
Epouse depuis quarante-cinq ans de celui qui fut le leader de Solidarité, le syndicat qui a ébranlé le monde communiste dans les années 1980, puis qui a présidé la Pologne de 1990 à 1995, Danuta Walesa se raconte dans un livre étonnant de sincérité, entre récit à l’eau de rose et règlements de comptes d’une femme longtemps soumise et invisible, qui veut se faire entendre. On y découvre, si on ne le savait pas encore, que même parvenue au sommet, mariée à un grand homme ou à un chef d’Etat, on n’en garde pas moins des rêves de midinette. Celui de Danuta était tout simple, confondant de banalité: fonder une famille unie, avec un père responsable, qui travaille dur pour les enfants, et un mari attentionné, qui la regarde de temps en temps, la gâte, la désire… Raté.
Danuta Walesa, énergique et vive sexagénaire, a eu un destin extraordinaire. Elle naît dans une famille très pauvre de paysans polonais, deuxième d’une fratrie de neuf. Le père trime dur sur ses 5 hectares de mauvaises terres, qui ne font pas vivre le foyer. Les enfants s’entassent à deux par lit et l’hiver, il fait si froid que de la fumée sort de sous la couette. Danuta, qui fréquente l’école jusqu’à 14 ans, se promet de partir dès qu’elle peut. A 18 ans, elle débarque à Gdansk, grand port de la Baltique, haut lieu de la classe ouvrière avec ses gigantesques chantiers navals, ville dans la ville. Et la voilà fleuriste. Des hommes s’arrêtent, pas pour acheter des bouquets mais pour conter fleurette. Elle en remarque un, qui n’est pas encore moustachu. Electricien, il vit dans le foyer pour ouvriers. Lorsqu’elle le voit passer avec des amis, il parle et gesticule. Manifestement, il fascine. Seul avec elle, c’est un taiseux. Elle s’y fait et l’épouse. «Au contraire de moi, Walesa a toujours eu du mal à exprimer ses sentiments», écrit-elle.
Du minuscule appartement de la cité hanséatique aux lambris du palais du Belvédère, à Varsovie, elle va vivre ce qui aurait pu être un conte de fées. En réalité, ce fut un chemin jonché d’épines. Lech n’est pas un affectueux. Militant dans l’âme, dévoré par la politique, il est souvent absent, la laissant seule avec les enfants. Ou alors, il envahit la maison pour des discussions enfumées avec des syndicalistes, des conseillers, etc. Les journalistes se souviennent de cette petite femme brune faisant à manger pour tout le monde, parfois sans un mot, le regard noir, des enfants dans les jambes. Régulièrement, elle fait des scènes à son mari. Un jour, elle pique une colère noire. Tout le monde déguerpit. Walesa revient avec une proposition, accrocher une pancarte: «Attention, typhus. Accès interdit à toute personne étrangère» sur la porte. Ce qui fut fait.
Au lieu du bonheur sucré auprès d’un homme idéal, Danuta Walesa a surtout appris la solitude et l’indépendance. Aujourd’hui, le couple vit dans la maison, style petit manoir, qu’il a fait construire à Gdansk, mais chacun chez soi. Elle travaille souvent dans le jardin. Lui reste rivé à son écran. «S’il veut venir me parler, il peut», dit-elle. En attendant, il s’est vanté un jour d’avoir troqué sa femme contre un ordinateur…
Mais ne lui parlez surtout pas d’un chemin vers l’émancipation. Le terme est sans doute trop connoté féministe, un courant pas très bien vu en Pologne. Elle le réfute aussi sec. Catholique pratiquante, Danuta préfère se présenter comme une porte-parole des femmes polonaises, et «si ce livre peut servir à leur montrer ce que l’on peut changer, c’est tant mieux».
Pourtant, elle décrit parfaitement les étapes par lesquelles la transformation s’est opérée. On comprend comment la petite paysanne complexée, convaincue qu’une bonne épouse devait suivre son mari en tout, est devenue une femme sûre d’elle, consciente de tout ce que Walesa lui doit, le jaugeant de haut et même parfois compatissant à ses faiblesses. Pour elle, il ne s’est jamais remis de son échec à la présidentielle de 1995.
Longtemps, pendant que son homme écrivait l’histoire, elle préparait des soupes et des tartes aux pommes, un gamin dans les bras. A la naissance de Solidarité, Walesa est projeté sous les feux de l’actualité mondiale. Le syndicat anticommuniste compte jusqu’à 10 millions de membres. A sa tête, il est celui qui défie Moscou. Il passe à la maison en coup de vent. Danuta apprend à se débrouiller sans lui, elle ne l’attend plus le soir.
Durant l’état de siège, décrété le 13 décembre 1981, il est interné presque un an. Elle, qui n’aime pas la politique, se met à donner des interviews. «C’était mon devoir, j’ai toujours été forte dans l’adversité.» Elle n’en reste pas moins celle qui confie lire surtout des histoires d’amour, et pleurer à tous les mariages. Lorsqu’il est relâché et revient, épaissi, à la maison, elle a ce cri du cœur: «C’était répugnant à voir. Il n’était pas gros mais plutôt gonflé, comme une poupée en caoutchouc.»
Le moment clé est la remise du Prix Nobel de la paix décerné à Walesa en 1983, qu’elle va chercher à sa place, à Oslo. Le leader de Solidarité est convaincu que s’il quitte la Pologne, les communistes l’empêcheront de rentrer, trop contents de se débarrasser de cet «élément antisocialiste». Fine et droite à la tribune, tout de noir vêtue, elle prononce le discours de remerciements sans trébucher. Sa prestation est saluée par les médias du monde entier. «Je n’ai été remarquée, je n’ai obtenu de la reconnaissance, je n’ai été la première qu’en allant chercher ce Nobel. Jusqu’ici, personne ne faisait attention à moi.» A son retour, Walesa ne la félicite pas. Il n’a jamais apprécié qu’on lui fasse de l’ombre. De là naît, chez lui, une sorte de jalousie. Lorsqu’elle lui a parlé de son projet de récit, il l’a pris de haut: «On verra bien ce que ça va donner!» Vendu à près de 500 000 exemplaires, en Pologne, il ne l’a toujours pas lu. «Il en connaît des extraits, car on l’a interviewé à ce sujet.» Danuta espère qu’un jour, il le lira. Comme on ne se refait pas, elle ajoute qu’«elle avait espéré qu’avec ce livre, peut-être, il reviendrait vers [elle]».
«Si c’était à refaire, je ne changerais pas ma vie. Grâce à Walesa, j’ai côtoyé les grands de ce monde, Jean Paul II, les Bush, Margaret Thatcher.» Pourtant, elle avoue un regret: ne pas s’être assez fait entendre. Pour les fleurs, elle a aussi du mal à se résigner. «Maintenant, quand il m’en apporte, je sais que quelqu’un les lui a offertes, écrit-elle, non, pardon, il m’en a déjà acheté. Une fois, une orchidée en pot.» Rêves et secrets, Editions Buchet-Chastel.