Dany Laferrière couronné par le Prix Médicis
Prix Littéraires
L’écrivain haïtien de Montréal remporte la prestigieuse récompense littéraire pour son «Enigme du retour»
Grasset se souviendra longtemps de cette saison des prix littéraires. Après avoir raflé lundi le Renaudot avec son protégé Frédéric Beigbeder pour Un Roman français, voilà la maison d’édition parisienne à nouveau aux honneurs pour le très beau roman de Dany Laferrière, L’Enigme du retour. Si la première distinction a pu susciter le doute dans les esprits, celle décernée à l’écrivain d’origine haïtienne et établi depuis longtemps à Montréal est un fait dont il faut se réjouir. Parce qu’il est ici question d’un ouvrage d’envergure, ambitieux et bouleversant.
L’Enigme du retour est traversée, comme toute l’œuvre de Laferrière, par un questionnement stimulant et empreint de finesse sur les conditions de l’exil et de l’identité. Mais il échappe au ton parfois humoristique et proche du paradoxe auquel l’auteur nous avait habitués avec des romans aux titres aussi savoureux que peu concis. Comment ne pas sourire face à aux promesses qu’annonçaient avec humour Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer (1985), Cette grenade dans la main du jeune nègre est-elle une arme ou un fruit? (1993) ou encore Je suis un écrivain japonais (2008)? Avec le livre distingué, Dany Laferrière efface les sourires pour faire place à une gravité sourde, portée par un style élégant et limpide.
Chef-d’œuvre sobre
L’auteur raconte son expérience du deuil, de la disparition soudaine d’un père qui a connu comme lui l’obligation du départ d’Haïti. La fuite de la dictature des Duvalier, l’éloignement de ses terres et de ses chers sont des drames que le décès transfigure. Naît alors, chez le protagoniste, la nécessité de partir sur les traces d’un disparu qu’il a à peine connu. La pérégrination en forme de quête traverse les paysages minéraux de l’hiver canadien, transite un temps par l’agitation urbaine de New York – où le père vivait – et mène surtout en Haïti, que l’auteur foule à nouveau après de longues décennies d’absence. Ici, parmi le chaos institutionnel, la violence, la faim et la folle vitalité d’un peuple insoumis, l’auteur part à la recherche de ses racines et accompagne aussi l’esprit du père dans un voyage teinté de mélancolie et d’évocations poétiques.
Chef-d’œuvre sobre et bouleversant, L’Enigme du retour dévoile aussi une construction étonnante et ambitieuse, qui alterne des vers libres – sortes de haïkus dilatés – et la prose traditionnelle. «Mon écriture fait penser à un escalier dont les marches auraient des hauteurs inconstantes», nous confiait il y a quelque temps l’écrivain (Samedi Culturel du 12.09.09). Cette forme étonnante a été reconnue par les jurés du Médicis, traditionnellement à l’affût de voix littéraires originelles.
D’autres ouvrages ont connu les faveurs du jury. Le prix du roman étranger a été attribué à Dave Eggers pour Le Grand quoi (Gallimard). Le Médicis Essai, lui, récompense Alain Ferry pour Mémoire d’un fou d’Emma (Seuil).