Dans les biographies qui l'ont consacré, il est en général peint comme un roux loustic, rustique, qui pique quand on l'astique. Un mec d'allitération qui vous mâche une demi-phrase contre vingt sourires: «Je suis chinoisé, noirifié, blanchi; le bâtard, c'est moi.» On l'imagine reclus dans son cabanon de collinette, Saint-Paul, 350 mètres au-dessus de l'océan Indien. A fabriquer des instruments qui portent les noms de Crusoé marié à Vendredi. Il plante d'ailleurs son propre café, mais continue d'aller en acheter, moulu, à l'épicerie. Danyel Waro atterrit de La Réunion. Et son éloquence d'humaniste roussi dément tout ce qu'on était en droit d'attendre de lui.

«Je ne suis pas l'ermite qu'on dit. Résistant, oui. Mais pas sauvage.» Quand Jean-Marie Le Pen, il y a quelques années, avait eu l'idée déplacée de poser un pied sur son île, Waro était venu avec des pancartes et des slogans. Et s'était fait ramasser par le service d'ordre. «La Réunion est une somme de rébellions. J'ai toujours nourri un esprit de souveraineté. Etre noyé dans la France départementale, cela tue notre dignité.» Outre la verveine, les plantes aromatiques et les fruits mûrs, Danyel Waro cultive le goût du marronnage. La conviction, très insulaire, qu'il faut militer depuis son pré carré. Depuis quoi, trente ans, le chanteur, organologue spontané, met tout cela en pratique.

Il faut l'avoir vu en scène. Au moins une fois parce que, après, on ne veut pas en rester là. «J'ai un chant très physique. Une manière d'endurance. Beaucoup de carapaces qui doivent exploser.» De fait, quand il empoigne son microphone, Danyel Waro est Mohammed Ali. Coups dans le ventre de poids lourd, qui décoche des gauches apprises chez ses parents communistes. La nuit, dans les champs où il dort avec ces derniers, Danyel respire au rythme des cérémonies de proximité. Dont la moindre de ses mélopées frappe aujourd'hui le pouls. Cela, et autre chose. Il faut se souvenir des chants réunionnais d'Alain Peters, au détour des seventies, quand il martelait sur la forge des mulâtres, des grisés, des ombreurs, les mélodies des Beatles. «Alain a intégré tout ce qui passait par ses oreilles. Et on continue, chez lui, de sentir l'âme de La Réunion. Notre île a les moyens de l'universalité.» Comme tous ces comptoirs, où les passants sont finalement restés. Un centre. Il évite de dire métropole, contre outre-mer. Waro maudit le nouvel esclavagisme, celui de l'assistanat. «Offrir un RMI à chacun, c'est aussi oppressant que d'offrir une prime d'éloignement aux fonctionnaires qui viennent travailler chez nous.»

Paradoxalement, si on devait le comparer à quelqu'un, ce serait à Brel. Le Brel d'avant les îles, oui. Le Brel des violences généreuses. Un Jacques qui serait passé par le ternaire, la trinité en fait, du maloya. Cette musique - de rythme, de créole et d'incantation - rappelle une Réunion d'avant le bétonnage. Mais une musique qui en tient compte, qui ne s'exclut pas de la modernité. «J'ai découvert le maloya très tard, vers 20 ans. J'aime les mots, j'essaie de chanter les idées. Dire notre identité.» Derrière ses lunettes de Soviet suprême, légèrement teintées pour voir sans être scruté, Danyel Waro reste un activiste. Il participe de mille associations, d'initiative civile. Depuis sa plage, il se mouille.

Aux Fêtes de Genève, ils ont eu la bonne intuition de ne le loger ni au Village tropical (le côté expo coloniale d'août chez Calvin), ni à l'Espace Banana. Il n'aurait sûrement rien dit. Mais c'est sur la Scène Ella Fitzgerald qu'on l'accueille finalement, avant de défiler samedi sur un char carnavalesque. Ella, oui. Parce que Waro, avec ses poèmes acides dont on ne saisit que les failles, appartient à cette caste très exclusive des hommes qui changent le chant. Il vit dans une petite case en tôle, en pierre et en bois, avec des jeux pour les gamins, et trois gamins, dans la cour. Cet endroit, il ne songe pas un instant à lui trouver une préface. «J'ai du mal à comprendre ceux qui sont obsédés par leurs racines. Je suis Réunionnais, c'est tout. La Réunion, ce n'est pas une maladie, c'est une richesse.»

Danyel Waro. Ve 4 août, 20h30. Scène Ella-Fitzgerald, Parc La Grange, Genève. Entrée libre. En cas de mauvais temps, infos au numéro 1600, rubrique 5.