La décennie de Tobias Richter aux commandes du Grand Théâtre
Commentaire
Presque un record. Tobias Richter aura tenu les rênes du Grand Théâtre pendant dix ans. Avant lui, seul Hugues Gall avait fait mieux. Le Français mena la «boutique» durant quinze saisons avec le talent, l’intelligence et l’autorité qu’on sait. La décennie du Germanique laisse un goût nettement moins puissant.

Que retenir de ce règne en collaboration étroite avec Daniel Dollé, à qui Tobias Richter confiait la maison pendant ses absences de Genève? Une politique d’accueil ou de production influencée par la sensibilité du metteur en scène et les goûts traditionnels du directeur. On est loin d’une ambition artistique novatrice, qui s’inscrit dans son temps et ouvre l’art lyrique sur le monde.
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L'objectif de Tobias Richter aura été de proposer des productions séduisantes, parfois fortes, mais qui ne dérangent pas. But atteint. Sur les 70 propositions lyriques, on en garde une petite vingtaine en mémoire, dont toutes possèdent une qualité commune: une réelle valeur esthétique, à défaut de chefs remarquables. Les dix plus saillantes? Medea, Punch and Judy, La Calisto, Le Barbier de Séville, King Arthur, Il Giasone, A Midsummer Night’s Dream, Rigoletto, Le Médecin malgré lui ou The Beggar’s Opera ont émerveillé. Mais la vision «old school» de Tobias Richter a fini par décolorer une institution qui n’est plus en phase avec son époque. Des salles parfois éparses en auront témoigné.
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Mandat bousculé
Les raisons d’équilibre financier ne sauraient tout justifier. D’autant que plusieurs événements ont étonné. Le remplacement de dernière minute d’une très prometteuse Flûte enchantée par une vieille production a notamment marqué les esprits. Les travaux de la maison mère, le déménagement à l’ODN et le retrait de 3 millions du canton ont bousculé le mandat du directeur. La réouverture des bâtiments historiques a été retardée de six mois suite à une infiltration, provoquant un retour chaotique à la place de Neuve. On peut comprendre l’irritation de Tobias Richter. Mais était-il judicieux de programmer une reprise du Ring pour fêter la rénovation, alors que des travaux d’une telle importance risquaient de durer plus que prévu?
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La machinerie grippe après trois ans d’inactivité. Sa rénovation indispensable, non incluse dans la restauration générale, est à prévoir rapidement et aura un coût qui reste à définir. Colère du directeur, inquiet de dangers possibles. Cette mauvaise surprise n’aurait-elle pas pu être envisagée par tous en amont, et étudiée en collaboration avec la direction technique?
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C’est l’affaiblissement de l’intérêt artistique qui préoccupe surtout la presse internationale, dont certains membres soulignent l’érosion progressive (LT du 03.05.2019). En dix saisons, la fréquentation n’a pas véritablement pris l’ascenseur. Quelles leçons tirer de cette décennie? Que malgré certains éclats, la longueur des années a fini par engendrer un sentiment d’usure. Et que le temps est venu de redonner au Grand Théâtre le ressort et le rayonnement qu’il mérite.