«En voiture!», lance en français Rahel Hubacher, la seule vraie comédienne de Mnemopark. Devant elle, une Suisse de carte postale miniature, dix mètres de long sur huit de large, à vue d'œil. La jeune femme donne le signal et un vieillard à bretelles invite au voyage à l'accordéon. Le train «tchoutchoute» alors. Sur un écran géant en surplomb défilent rails et tunnels, mélèzes et vaches, le tout filmé par une caméra miniature à même la maquette. L'odyssée est commentée: des statistiques en vrac, plus tard, les témoignages de Max, René, Hermann et Heidy.

L'intérêt de Mnemopark, c'est d'autoriser deux lectures: l'une est marquée du sceau de l'empathie pour cette humanité au crépuscule; l'autre est de nature politique. Cette Suisse-là, qui quadrille jardins et champs, célèbre ordre et travail, est un étouffoir. Par chance, chez Stefan Kaegi, le diable veille. Et l'esprit du jeu l'emporte. Chacun son tour, Max, Hermann, Heidy et René ont ainsi le privilège de remonter le temps. A l'écart, ils chaussent des lunettes. Puis posent leurs mains sur un guidon de trottinette. Et les voici projetés dans une autre dimension, comme dans un film de science-fiction. A l'image, on les voit soudain errer le long des rails de la maquette, comme s'ils avaient changé d'échelle en basculant dans le passé. Le retour au présent est brutal. Un accident survient. Le voyageur déraille et chute. L'un s'égare même dans le futur, une portion de décor encore vierge.

Mnemopark fascine ainsi autant par le propos de ses Suisses modèles que par son dispositif. Un art de cerner le cliché, tout en le retournant (la vache, mère nourricière de la Suisse qui produirait autant de gaz à effet de serre que deux Volkswagen); de pointer l'incongru dans le familier. Et puis cette façon de mettre en miroir deux mythologies: la Suisse, paradis rêvé des cinéastes de Bollywood, l'Inde, terre de quête spirituelle pour des générations d'Helvètes. Ce théâtre s'apparente aux Mythologies de Roland Barthes. Il extrait du réel une séquence de gestes et de pensées, en met à nu les ressorts dramatiques. A la fin, il y a diagnostic. Le spectateur est libre de l'établir. C'est aussi le talent de Stefan Kaegi que de nous laisser cette marge de manœuvre.