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Le gouvernement d’extrême droite et antisystème s’attendait au rejet par Bruxelles de son projet de budget. Cette décision renforce la Ligue et le Mouvement 5 étoiles au pouvoir

«Qu’est-ce qu’il y a?» répond sèchement Matteo Salvini, coupé dans son discours. Le vice-premier ministre se tient devant un parterre de chefs d’entreprise, membres du patronat ConfCommercio. Dans le public, une voix lui communique l’arrivée à Rome d’une lettre annonçant l’ouverture d’une procédure d’infraction pour déficit excessif. «La lettre de Bruxelles est arrivée, répète le ministre de l’Intérieur et leader de la Ligue, à l’extrême droite, mêlant dans sa voix ironie et agacement. Entre-temps, j’attendais aussi celle du Père Noël.»
L’homme fort de l’exécutif qu’il mène avec le Mouvement 5 étoiles (M5S, antisystème) n’est pas surpris de la décision de l’Union européenne. Depuis son arrivée au pouvoir en juin dernier, il a fait de toute question avec Bruxelles un bras de fer politique. «A l’Europe, je demande respect pour le peuple italien, a-t-il seulement lâché mardi. Qu’ils nous laissent travailler.»
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Financer les promesses électorales
Matteo Salvini n’aime pas se répéter, sa réaction mardi est brève. Il avait clairement explicité sa ligne lorsque le gouvernement avait répondu aux inquiétudes de la Commission il y a une semaine. «Nous ne nous tirons pas en arrière, affirmait le 13 novembre le vice-président du Conseil, le gouvernement explique ses raisons mais suit sa route.» Celle d’un déficit fixé à 2,4% dans le but de réaliser les réformes promises. Le ton est donc celui d’un homme toujours en campagne électorale. S’il est conscient que la tension sur les marchés provoquée par sa politique agressive coûte notamment aux entreprises, son principal bassin électoral au Nord, il sait que cette stratégie peut être gagnante au Sud, où sa Ligue croît toujours plus.
Cette dernière et le Mouvement 5 étoiles cherchent à tout prix une plus grande flexibilité budgétaire pour financer leurs promesses avant les élections européennes de l’an prochain. Les deux partis, représentant désormais plus d’un électeur sur deux, ont remporté le scrutin du 4 mars grâce à leur volonté de réformer la fiscalité et les retraites pour la première, de créer un revenu minimum universel pour le second. Mais aussi sur leur «opposition radicale aux institutions européennes», complète Lorenzo Castellani, professeur d’Histoire et de sciences politiques à l’Université Luiss de Rome.
«Des risques économiques graves»
Le rejet du budget italien par Bruxelles rend donc paradoxalement service à l’alliance de l’extrême droite et du mouvement antisystème. En confrontation ouverte ces derniers jours sur diverses questions, de la réforme de la justice à la problématique des déchets en Campanie, la réponse européenne mardi a «resserré les rangs du gouvernement dans sa confrontation avec l’Europe», avance l’expert. Ce dernier prédit ainsi que l’exécutif hybride durera au moins jusqu’aux élections européennes de mai prochain.
Il Corriere della Sera s’inquiète que «la route choisie par la Ligue et les 5 étoiles, en plus de créer de graves risques économiques, en plus de suivre une tactique sur le court ou très court terme et empreinte de provincialisme, soit rationnelle seulement si elle vise la rupture totale, la sortie de l’euro et de l’Europe». Le quotidien se permet ce ton alarmiste après avoir observé Matteo Salvini. Ouvertement europhobe, celui-ci vise à devenir en Europe le «leader de la droite souverainiste», analyse Lorenzo Castellani. Dans l’attente du scrutin européen, il cherche aussi à s’imposer pour Bruxelles comme «l’unique interlocuteur du gouvernement italien».
Giuseppe Conte, conciliateur peu audible
La voix de Giuseppe Conte, président du Conseil, est ainsi peu audible. «Le gouvernement est prêt à un échange constructif avec la Commission européenne», a promis ce dernier, mardi. Le premier ministre doit rencontrer samedi son président, Jean-Claude Juncker, pour lui démontrer «la solidité et l’efficacité de la manœuvre économique» et pour lui «apporter un plan détaillé des réformes». L’avocat propulsé au sommet de l’Etat est chargé de faire baisser la tension politique entre Rome et Bruxelles quand ses deux vice-premiers ministres l’alimentent jour après jour.